[Terminé]Le flux de l'âme [Entraînement - Inoke]

Ces derniers jours avaient eu des allures de mauvais rêve dont Ralsen avait du mal à émerger. Tout s’était enchaîné beaucoup trop vite, les émeutes, le musée, la mystérieuse tablette, les réunions au quartier général, les nouvelles directives, elle n’avait pas eu le temps de souffler, ni de digérer correctement tout ce qui s’était passé. Elle avait été congratulée à la fois par ses supérieurs mais aussi par ses collègues, elle n’avait pas compris pourquoi. Elle avait juste eu de la chance, et elle n’avait pas accompli grand-chose. Au bon endroit au bon moment avec la bonne personne, elle aurait pu être plus un boulet qu’un atout si les événements s’étaient déroulés autrement. Et dans les rues, elle n’en avait pas fait assez. Elle avait accepté les tapes amicales et les félicitations avec le sourire sans jamais vraiment réaliser, son esprit était toujours coincé à cette fin de journée pluvieuse. Elle avait l’impression qu’on voulait lui donner plus de responsabilité alors qu’elle ne savait pas quoi faire. Et puis elle n’avait pas oublié ce qui avait déclenché tout ça, ça aussi, ça la rongeait de l’intérieur, même si ses supérieurs avaient fait un grand rappel à l’ordre intransigeant. Ça n'effacerait pas ce qui avait déjà eu lieu.

Elle aurait pu mourir, aussi, mais ça, ça fait partie du job, elle en était consciente. Elle a déjà failli mourir par le passé de toute façon, elle connaissait déjà cette sensation. Mais c’était censé être différent maintenant, non ? Alors pourquoi elle s’était sentie et se sent toujours aussi impuissante qu’à l’époque ? Elle s’était entraînée, non ? Son équipe s’était agrandie avec des compagnons qui voulaient tout autant aider les autres, pas vrai ? Et elle avait rejoint des forces avec les moyens de combattre ceux qui voulaient faire le mal sur l’île. Elle avait empêché quelques personnes d’être écrasées par des débris, aidé un petit garçon à retrouver sa mère, et aidé une jeune fille à calmer son Pokémon devenu incontrôlable. Elle avait même participé à l’arrestation d’un agent d’Abyss et sauvé l’artéfact que l’organisation convoitait. Mais impossible pour elle de s’en réjouir. Coup de chance sur coup de chance, à aucun moment elle n’avait eu l’impression d’avoir un temps soit peu de contrôle, de savoir un tant soit peu ce qu’elle faisait, et essayer, faire de son mieux, ce n’était pas assez.

Ralsen aurait pu prendre un repos bien mérité après tout ça, profiter un peu du privilège d’une gloire éphémère, à la place elle s’était remise instantanément à l'entraînement. Un jour de repos ? Un jour d'entraînement. Pas le temps de réfléchir et pas le temps de se reposer. Elle avait jeté son dévolu sur une séance en pleine nature pour changer du QG et du Désert. L’un était un terrain trop stérile même si les machines pour humain comme Pokémon était pratique, et les partenaires étaient nombreux, et l’autre mettait à rude épreuve mais il fallait savoir changer de décors et s’adapter à toutes les circonstances. Elle avait décidé d’aller jusqu’au Haut Monts, elle n’y passait pas souvent en dehors d’une mission de sauvetage en groupe, les Pokémons qui entouraient le volcan pouvaient être redoutables et il leur arrivait de descendre jusque là. Elle essayait de garder la tête haute devant ses compagnons, mais ils n’étaient pas dupes, elle le savait. Elle ne pourrait jamais les remercier assez d’être toujours aux petits soins pour elle, même si elle leur rendait.

Dans la journée, elle avait rencontré une Lucario qui était venu les observer s’entraîner. Ralsen ne s’était pas inquiétée un seul instant, elle n’avait pas l’air hostile, elle était même venue s’entraîner avec tout le petit groupe. Pour la fin de journée, elle avait prévu de récompenser tout le monde en redescendant jusqu’à Bordeciel afin de s’y réchauffer et d’y manger quelques gourmandises. Ses Pokémons le méritaient bien, ils s’étaient donnés à fond. La Lucario l’avait suivie, même si elle avait refusé de l’accompagner plus traditionnellement. Ralsen s’est dit qu’elle ferait juste un bout de chemin avec elle.

Après avoir fait un crochet au Centre Pokémon pour revigorer tout le monde, la secouriste déambula dans les rues jusqu’à trouver le fameux Café de Combat de la ville. Elle avait beau s’être habillée bien plus chaudement qu’à l’habitude, le froid des montagnes ne l’épargnait pas, autant dire qu’elle avait hâte de rentrer bien au chaud. Bumbleby avait décidé de faire le trajet hors de sa Pokéball et ce malgré le froid, posé sur les cheveux de sa dresseuse comme à son habitude, et la Lucario marchait juste à côté. La clochette retentit et les trois compagnons accueillirent la chaleur de l’établissement à bras ouvert quand Ralsen poussa la porte. Ça faisait du bien, après plusieurs heures dans le froid !

“Bonjour” salua-elle un peu timidement en s’approchant de la vitrine des mets sucrés.

Maintenant, il fallait choisir un petit quelque chose pour chacun… La Lucario semblait déjà avoir jeté son dévolu sur une tarte au fraise qu’elle fixait intensément. Bee s’était envolé pour regarder lui aussi la vitrine en plissant ses petits yeux avec concentration, et choisir quoi grignoter, et surtout, chercher quelque chose à sa taille.

“Je voudrais prendre cinq… non six petites pâtisseries et…” elle réfléchit quelques secondes. Non il était définitivement trop tard pour un café au lait, elle risquait de le regretter. Un thé ? Une infusion ? Ou un bon vieux chocolat chaud ? “Un chocolat chaud à la cannelle s’il vous plait !”

“Bien sûr, je m'en o-...”

La cafetière n’eut même pas le temps de finir sa phrase qu’elle fut interrompue par une sonnerie. En arrivant, Ralsen n’avait pas manqué de remarquer à quel point le café était bondé, plus que ce à quoi elle s’attendait à vrai dire. Une heure propice à prendre une bonne boisson chaude et un petit encas sucré pour les plus gourmands, elle se doutait qu’elle y verrait du monde, mais le nombre de clients était tel que les Pokémons comme la tenancière ne semblaient pas avoir une seule seconde pour souffler. L’ambiance avait beau être accueillante et chaleureuse, la secouriste avait été prise d’une pointe d’inquiétude. Elle n’avait jamais eu le moindre mal à évoluer dans les foules et les endroits surchargés d’être vivants. Seulement, depuis les émeutes, la moindre concentration de population éveillait en elle une désagréable sensation oppressante qu’elle avait du mal à comprendre. Leurs présences semblaient tellement plus lourdes qu’avant, à tel point qu’il lui arrivait d’avoir la sensation d’étouffer. Et pour ne rien arranger, là où cette impression était la pire, c’était au QG.

“Excusez-moi un instant. Nomi, je te laisse te charger du chocolat? Oberon, tu peux servir les pâtisseries s'il-te-plaît ?”

Ralsen regarda la cafetière s’éloigner de quelques pas avant de saluer la Gardevoir qui se chargeait de la servir à la place de sa dresseuse, et indiqua poliment les pâtisseries convoitées au Rubombelle. Bumbleby eut un mouvement de recule en voyant à travers le verre son congénère évolué passer en face de lui avec une timidité qui ne lui ressemblait guère. Il se dissimula un peu derrière sa nouvelle amie au pelage bleuté qui ne put s’empêcher d’avoir un sourire amusé devant le comportement du Bombydou. Il n’en était pas à sa première rencontre avec un Rubombelle, il venait d’un petit essaim après tout, mais celui-ci respirait la prestance et le charisme, et s’il ne connaissait pas grand chose du fonctionnement des humains, il savait de par sa dresseuse qu’ils étaient dans un endroit qui abritait de puissant combattant.

Ralsen remercia les deux Pokémons serveurs et s’apprêtait à chercher un endroit où se caler avec assez de place pour sa petite équipe avant de devoir se résigner à s'attabler au comptoir. Non pas qu’il manquait de la place ailleurs, il en restait, même avec autant de monde. La Lucario avait simplement décidé de se caler bien vite sur un des sièges du comptoir sans attendre, et invitait même la secouriste à s'asseoir à son tour en tapotant le siège voisin. Bee non plus ne semblait pas des plus ravi d’ailleurs, trop intimidé par son aîné. Ralsen s’y résigna et fit sortir le reste de ses compagnons, remerciant Arceus qu’ils étaient tous assez petits pour ne pas prendre trop de place et ajouter trop de monde au monde. Spine et Adhartan se partagèrent un siège, Alcina prit place à côté de a Lucario après s’être étirée de tout son long, et Bumbleby décida enfin de se poser sur le comptoir près de sa dresseuse. Chaque Pokémon commençait à grignoter leur douce récompense pour la journée quand la cafetière revint enfin, son coup de téléphone terminé.

“Désolée, je sais plus où donner de la tête aujourd'hui ça s'arrête plus. Oh, t'as fait des progrès Nomi ! Je te demanderais presque de m'en faire un aussi si on était pas si occupées”

Ralsen soufflait prudemment sur le chocolat chaud à l’odeur si plaisante, la cafetière n’exagérait aucun de ses compliments elle en était certaine, et elle n’avait même pas pu encore goûter la boisson ! La Gardevoir en était même gênée. La secouriste la salua en retour d’un signe de la main et un grand sourire avant que la serveuse psychique ne s’éloigne.

“Pas de soucis !” répondit-elle enfin à la cafetière “Y a toujours autant de monde ? Vous avez l’air de devoir gérer déjà tellement de trucs, madame… euh…”

Si elle savait reconnaître les Champions de l’île - travail oblige - elle était toujours autant incapable de retenir les noms. Tantôt ils lui revenaient, tantôt il lui était impossible de s’en souvenir même quand elle les avait sur le bout de la langue. Elle aurait été bien ridicule en plein cœur de la bataille au musée si le nom des Champions présents durant le conflit ne lui avait pas été rappelé par radio. Quoique, l’adrénaline aurait peut-être fait son œuvre.

Un peu gênée de laisser sa phrase en suspens, elle tenta de boire une gorgée de sa boisson pour inévitablement se brûler en laissant échapper un faible ouch. Langue brûlée, mais un peu satisfaite, même sous la douleur elle avait pu… brièvement sentir que le chocolat chaud était délicieux. Ses compagnons mangeaient avec enthousiasme, visiblement satisfaits, la Lucario avait gobé bien vite la tarte au fraise sous le regard outré d’Alcina qui, elle, avait préféré savourer son choux à la crème bien lentement. Même Spine et sa grande mâchoire prenait davantage son temps avec sa tarte au citron, à côté d’un Adhartan dont le nuage blanc près de son visage avait été coloré par un peu de poudre de cacao de sa pâtisserie. Bee, lui, essayait de picorer son simple petit beignet au sucre en faisant comme s’il n’était pas embarrassé, en jetant de discret coup d'œil vers le Rubombelle de temps à autre.

“Oh ! Inoke” compléta la cafetière, brisant un bref silence un peu gênant “Juste Inoke, c'est très bien. Et, vous êtes pas obligée de me vouvoyer. Enfin, on peut se tutoyer si ça vous va, j'avoue qu'avec tout ce qu'il se passe j'ai un peu de mal à calibrer mon cerveau. C'est plus calme d'habitude, mais j'ai l'impression que ces derniers temps les gens ont besoin de se détendre. C'est pas vraiment étonnant vu ce qu'il s'est passé à la capitale”

En effet, ce n’était pas très étonnant. L’île avait connu une accalmie à la fois si courte et si longue. Courte, parce qu’une année, c’était bien peu, trop peu même, et longue, parce qu’avec la fréquence des conflits qui frappaient constamment l’île, une année de répis c’était plus qu’ils auraient pu espérer. Ralsen avait peur que les émeutes marquent les débuts de conflits ouverts, bien loin des quelques vagues crimes plus ou moins étouffés de cette période de guerre froide. Même si le danger ne venait pas directement d’Abyss, l’un de leur Commandant - ou ancien Commandant ? - était lâché dans la nature, à la fois en conflit avec ses alliés et recherché par les autorités, le genre de personne beaucoup trop imprévisible.

Si beaucoup trop de choses la préoccupait, elle imaginait bien la plupart des gens chercher un moyen de s’évader ne serait-ce que quelques heures. Ça devait être bien plus facile pour ceux qui n'habitaient pas la capitale. Ceux-là… étaient-ils terrifiés à chaque fois qu’ils posaient le pied dehors ? À chaque fois qu’ils apercevaient les cicatrices dans le sol et les murs, les rubans et les barrières qui barraient les passages impraticables ? À chaque fois qu’ils voyaient les petits commerces de leur quartier détruits ?

“C'est une sacrée équipe que tu as là” Inoke sortit Ralsen de ses pensées alors qu’elle tentait de nouveau de prendre une gorgée de chocolat chaud sans se brûler “J'espère que vous allez tous vous régaler”

La secouriste balaya du regard sa petite équipe qui semblait plus que ravie de leur gâteau respectif.

“Merci ! Ils ont l’air d’adorer. Et le chocolat chaud est super bon !” Chacun des Pokémons approuvèrent avec plus ou moins d'énergie “Ah, je m’appelle Ralsen” se présenta-t-elle avant d’oublier puisque la cafetière avait été contrainte de le faire “Le tutoiement ça me va, même si euh… je vais peut- être avoir un peu de mal au début vu que vous- tu es Championne, quand même” continua-t-elle en se grattant la joue d’embarras.

Généralement plus à l’aise à tutoyer les autres, elle avait quand même le réflexe de vouvoyer ses aînés et les personnes avec un certain statut, encore plus depuis qu’elle avait rejoint le STERN. Mais la douceur qui se dégageait de la cafetière mettait la secouriste à l’aise, elle n’était pas ce genre de Champion naturellement intimidant, la familiarité viendrait sans doute naturellement.

“D’ailleurs… C’était comment ici ? Pendant les émeutes de Mégapagopolis je veux dire”

Elle n’osait pas vraiment lever les yeux de sa boisson, et son ton avait été mal assuré. Elle n’avait entendu que des bruits de couloirs au QG, et un rapport trop formel et trop impersonnel de la part de ses supérieurs. Ce n’était pas ça qui l’intéressait, ce dont elle se souciait, c’était ce que les habitants avaient vécu, c’était ce que les concernés avaient ressenti. Inconsciemment, elle voulait peut-être aussi jauger quelle position avaient les gens du coin sur… tout ce qui s’était passé.

La Lucario agita une oreille, curieuse, observant tour à tour les deux humaines, visiblement intéressée par la conversation. Bumbleby, lui, osa enfin faire un timide coucou de la patte à son aîné pour le saluer, sous le regard amusé de ses camarades Pokémon.

La cafetière prit le temps de rassembler ses souvenirs avant de se mettre à raconter ce qui s’était passé ce jour-là, à Bordeciel. Ralsen l’écouta attentivement, boisson en main pour se réchauffer, et le regard pensif en imaginant le déroulé de l’histoire. Les informations n’avaient pas dû circuler de la meilleure des façons en temps réel, les émeutes avaient dû ressembler à une véritable guerre civil vues de l’extérieur. Enfin… c’en avait été, en un sens, non ? Ce n’avait pas été seulement des partisans d’Abyss contre les agents et partisans du STERN, tout le monde avait été pris entre deux feux. Les plus chanceux avaient été obligés de cesser les combats et de s’unir contre un ennemi commun, mais le reste… Au moins des conflits n’avaient pas éclaté ailleurs comme un écho à ceux de la capitale dès que les nouvelles étaient parvenues aux oreilles de toute l’île. Tout le monde avait juste… eu peur. Inoke avait l’air aussi troublée qu’elle en y repensant. Où bien Ralsen était-elle en train de projeter ses propres émotions sur son interlocutrice ?

Et puis la Championne alla plus dans les détails, ceux de l’après. La secouriste n’aurait même pas eu à lui demander, et tant mieux, elle n’aurait peut-être pas osé. Après de tels événements la population se posait des questions, et sans trop de surprise elle demandait l’avis de ses Champions locaux. Où à ses célébrités locales plutôt ? Ralsen avait beau voyager de nouveau dans toute l’île depuis son arrivée au STERN, bloquée émotionnellement et physiquement à Esperantown depuis les premières tragédies qui avaient frappé la ville au point que les vacances de son enfance un peu partout sur le croissant lui paraissaient bien loin, elle avait déjà entendu parlé du seul Café de Combat de l’île. Plus que ça, elle savait à quel point les bons commerces de quartier et leur tenanciers étaient une référence pour les habitants d’une ville, et leur avis pouvait tellement compter. Si tous ces gens l’avaient interrogée sur le STERN ou Abyss, ce n’était sans doute pas que par son statut de Championne, surtout quand on pense à Abyss et son message anti-ligue…

Ralsen ne put s’empêcher d’avoir une grimace de gêne lors de la mention des bavures de la milice. C’était toujours aussi douloureux d’y penser. Elle n’était pas présente, pourtant elle se sentait responsable. Elle s’était même demandé ce qu’elle aurait fait si elle avait fait partie de cette équipe là, et pas des renforts. Elle n’aurait peut être pas empêché les débordements, mais elle se dit qu’elle aurait au moins essayé quitte à se prendre un avertissement pour insubordination. Mais aurait-elle vraiment toléré l’idée de se faire virer ?

Inoke leur faisait toujours confiance, et si cela réchauffait ne serait-ce qu’un peu le cœur de Ralsen, le lointain doute qui la rongeait depuis les émeutes lui faisait se demander si cette confiance était réellement bien placée. Tolérance zéro depuis, les écarts n’étaient pas pardonnés et les erreurs non plus. Ils avaient collectivement subi de nombreuses remontrances, et la jeune agente avait entendu des collègues parler de réprimandes individuelles en prime. Le laxisme dont le STERN avait fait preuve jusqu’à présent bien loin de la sévérité des véritables forces militaires allait sûrement cessé, on ne pouvait espérer que cela soit que pour le meilleur.

Ralsen était en pleine réflexion, peu sûre de quoi dire, et surtout, comment le dire. Elle n’eut pas à penser très longtemps qu’Inoke reprit après une hésitation pour parler d’Abyss. Elle était de ceux qui ne leur accordait aucune confiance, la secouriste était même surprise qu’elle soit si directe et si honnête. Et puis à la mention d’Esperantown, le cœur de Ralsen se serra. Un coup de poing lui aurait sans doute fait moins mal. Elle avait été si prisonnière de ses propres pensées depuis les émeutes qu’elle n’avait pas songé jusqu’où les conséquences des événements pouvaient aller. Elle qui s’inquiétait constamment de l’état de sa ville natale, son esprit était tellement parasité par les émeutes qu’elle en avait oublié le danger encore plus grandissant pour les habitants de la ville phénix. Pire encore, elle avait pu entrer par miracle - ou plutôt par privilège - dans la ville, il y a quelque temps, simple agente au bas de l’échelle originaire de la cité, mais maintenant, elle avait eu en main la tablette qu’Abyss convoitait pour des raisons encore inconnues, assez importante pour risquer de salir leur image. Si ça se savait… Est-ce que sa famille était en danger ? Vraiment en danger ? Elle dût poser sa tasse en sentant ses mains trembler.

“Hum… Vous- tu… tu crois que les habitants d’Esperantown sont en danger ? J’ai de la famille là-bas et…” elle n’était pas censée en parler, non ? “J’étais au musée, j’ai vu les agents d’Abyss avec monsieur Ater, j’ai vu ce qu’il ont essayé de voler… Oh merde…”

Spine sauta de son siège commun avec Adhartan pour atterrir sur les jambes de sa vieille amie et pressa doucement sa grande tête contre Ralsen pour la rassurer, et le Doudouvet suivit en espérant que le contact de son coton soit réconfortant, il ne pouvait pas faire grand chose pour ce genre de blessure là, à son grand désespoir. Alcina blémit sous son pelage déjà blanc à cette réalisation, Esperantown était aussi chez elle, et la ville natale de son ancien dresseur comme de sa nouvelle.

“N-ne vous en faîtes pas !” Trop prise dans sa propre panique, Ralsen ne remarqua même pas le ton équivalent de la cafetière “Abyss est toujours dans l'optique de se faire bien voir du grand public, malgré l'épisode du musée. Tant qu'ils gardent ce besoin de se montrer sous leur meilleur jour, je pense qu'ils ne feront de mal à personne là-bas. Sinon, ils perdraient leur soutien, et je pense qu'ils en ont besoin plus que jamais en ce moment”

Elle avait raison. Abyss avait beau perdre quelques suivants après leur dernier fiasco en date, il se devait de garder la face. La promesse de ramener les morts ne faisait pas tout. Après non pas un mais deux événements notoires aux dégâts conséquents, ils avaient intérêt à se tenir à carreau et caresser le peuple de Maïlys dans le sens du poil. Oui, ça avait du sens… Les habitants d’Esperantown ne risquaient rien pour l’instant. Même sa famille, même si Abyss savait qu’elle avait aidé à ruiner leur braquage. Ralsen se calma. Les paroles rassurantes d’Inoke lui avaient fait reprendre ses esprits, et elle en profita pour respirer profondément pour se calmer un peu plus, comme elle l’avait appris il y a longtemps. Elle remercia ses compagnons d’être venu l’aider d’une caresse chacun et d’un sourire pour les rassurer en retour que tout allait bien.

“Peut-être que le STERN pourrait t'aider à mettre tes parents à l'abri, si un jour les choses tournaient mal”? Je pense que protéger les habitants d'Esperantown doit leur tenir autant à cœur que n'importe qui”

“Oh… ouais, je pourrais toujours leur demander mais…”

Elle pensait à l’abus de pouvoir des émeutes, et elle pensait à l’état de la ville phénix, encore pire qu’à son départ. Une belle ville, bien reconstruite, plus grande, plus belle et plus solide qu’elle ne l’a jamais été. Mais aussi sous étroite surveillance, trop de caméras visibles, probablement encore plus d’invisibles, le gigantesque dôme protecteur, les patrouilles constantes, les contrôles aux entrées. Il n’y avait aucune chance que des agents du STERN s’en approchent, et encore moins de chance qu’ils n’y entrent sans déclencher un conflit. Ralsen ignorait si elle serait encore capable d’entrer même en étant native de la ville, et essayer de faire sortir ses parents précipitamment risquait d’attirer l’attention. Même avec l’importance de leur image, s’ils les arrêtaient dans la ville, personne ne verrait rien, et l’info ne sortirait sans doute jamais. Facile de commettre le crime parfait dans un lieu où tout est sous leur contrôle… Ralsen n’avait jamais été aussi effrayée d’Abyss.

“Je pense pas que ça soit possible avec les tensions de maintenant. Mes supérieurs prendraient jamais un risque pareil” réfléchit-elle “Peut être si y a une urgence mais… comme tu dis, Abyss doit faire attention à l’image qu’ils renvoient”

Un peu comme nous, pensa-t-elle. Le STERN se payait une sale image d’un côté, mais de l’autre les actions d’Abyss leur avait mis du monde à dos. La seule neutralité possible, c’était de miser sur la Ligue qu’Abyss et d’autres avant eux adorait peindre comme le pire des problèmes. L’attention semblait détournée dans tous les sens, difficile d’en vouloir aux habitants du croissant de ne plus savoir à qui faire confiance. La milice n’avait pas fait grand-chose pour la mériter qui plus est. Une bavure qui a escaladé pour un pauvre voleur arrêté et une drôle de relique qui n’avait pas l’air tant importante pour compenser. Certains agents avaient su gérer la situation dans les rues malgré tout, mais d’autres avaient lâchement fui ou en avaient profité pour défouler leur colère et leur frustration, comme ceux qui avaient tout provoqué. Pas de grand sauvetage, pas de grande arrestation, pas de grande victoire ni de grande avancée, juste une bande de gamins loin d’être prêts, lâchés dans la fosse, et des vétérans trop fatigués par la vie et les souvenirs douloureux pour prendre les bonnes décisions, laissant leurs émotions parler à la place.

“C’est gentil de nous soutenir” continua Ralsen en essayant de changer de sujet pour repartir sur quelque chose de plus positif, l’ambiance du café et la présence de la cafetière avait été si apaisante jusque là, elle ne voulait pas tout gâcher “Surtout après ce qui s’est passé. Je sais que… pas tout le monde est parfait, et que j’ai des collègues pas toujours très sympa mais… y a aussi plein de gens avec de bonnes intentions. Protéger l’île, c’est un truc qui nous unis un peu tous je pense. Pis les Champions peuvent pas tout faire tout seul !” ajouta-t-elle avec légèreté et un sourire.

Beaucoup de gens aimaient pointer la ligue du doigt pour tous les maux de l’île, pourtant nombreux ont été ceux qui se sont levé face aux dangers qui ont frappé le croissant toutes ces années. Tous n’avaient pas forcément été des gens recommandable, mais assez s’était manifesté au fil des années pour protéger les habitants, repousser les légendaires agressifs, et combattre les organisations malfaisantes. Ils avaient le droit de souffler et d’être soutenu, eux aussi.

La Lucario écoutait les deux humaines parler avec attention, une oreille constamment orientée dans leur direction, et son sixième sens concentré sur elles seulement. Il ne fallait pas se fier qu’aux mots même avec le plus pur des cœurs car honnêteté et vérité n’était pas toujours synonyme. Pourtant habituée à naviguer dans une voie lactée d’êtres vivants, même elle avait du mal à rester concentrée tellement ces deux étoiles brillaient intensément. Elle prenait note de leur échange, assise bien trop poliment pour un Pokémon sauvage.

“C'est pour ça qu'on devrait vous remercier” répondit la Championne, dont les mots ainsi que le doux sourire provoqua un léger embarras chez Ralsen qu’elle s’empressa de cacher en buvant un peu de sa boisson chaude “C'est difficile de s'en rendre compte des fois, mais Maïlys a toujours connu plus de héros que de vilains”

À ces mots, la Lucario balafrée agita d’abord une oreille d’un air dubitatif avant de se reprendre après une brève réflexion pour approuver les dires de la cafetière d’un hochement de tête. Le regard attiré par sa vision périphérique, Ralsen fut prise de confusion à la réaction du Pokémon. Il était tellement plus facile de se souvenir du mauvais plutôt que du bon, c’en était à oublier tout le bien qui avait contré toutes ces personnes malveillantes au fil des années. Ces personnes-là avaient beau avoir gravé leurs horreurs dans le corps, le cœur et l’esprit des Maïlyséen, pour chacun d’entre eux se levaient bien plus d’âmes courageuses qu’il n’en fallait pour les contrer, le mal était peut être fait, mais le pire était empêché.

“Tout ce que le STERN a permis c'est de leur donner les moyens de nous aider de manière plus... organisée? C'est une bonne chose que le STERN soit là, et je vous suis très reconnaissante pour ce que vous faîtes”

Encore fallait-il que tous ces héros leur prêtent leur force… Combien d’entre eux avait été simplement là au bon endroit au bon moment ? Désireux d’aider sur l’instant, ou occasionnellement, mais sans aucune forme d’engagement ? L’initiative du STERN avait beau avoir démarré comme telle, une formation spéciale pour des Dresseurs ou Topdresseurs qui voulaient en faire plus sans se mettre en danger, être mieux préparés, et mieux organisés, cela restait un investissement conséquent, une affiliation particulière, et… la structure avait une sacrée empreinte militaire. La jeune secouriste imaginait sans mal de possibles partisans rebutés par un ou plusieurs aspects de la milice malgré leur âme altruiste.

“Merci” fit doucement Ralsen, ne sachant pas trop où ce mettre après tant d’éloges - pas spécifiquement dirigé sur elle, mais c’était tout comme “Je sais pas si on en mérite autant, on s’est tellement fait déborder pendant les émeutes” admit-elle. “Pour une première… grande intervention où on aurait dû faire la différence, c’était pas terrible”

S’être laissé déborder, c’était peu dire. Trop peu d’agents sur place, trop de panique de tous les côtés. Organisé au début, puis plus rien, si peu de communication. Ralsen n’aurait jamais pensé se sentir si seule en situation de crise alors qu’elle faisait partie d’un si grand groupe de personnes entraînées.

“Je sais pas si c’est parce qu’on était pas assez ou… Je sais pas trop, l’entraînement et être en situation c’est pas pareil, je pense qu’on était nombreux à pas être prêt pour ça”

Elle avait été félicitée pour… quoi, faire le stricte minimum ? Certains avaient pris leurs jambes à leur cou, d’autres avaient mal réagi sous la pression et les civils qui leur hurlaient dessus, elle, elle était restée, elle avait fait de son mieux, sauf que son mieux n’était pas assez. Elle observa ses petits compagnons qui l’avaient réconfortée quelques instants plus tôt reprendre leur place. Eux aussi faisaient de leur mieux, pourtant ça n’avait pas suffit non plus. Ils étaient toujours si enthousiastes à l’idée de progresser, c’était à se demander si le problème ne venait pas d’elle. À aucun moment ne lui serait venu l’idée de demander un petit coup de main, si ce n’était pour tous ses tracas, au moins pour l’un d’entre eux, à une personne déjà présente. Heureusement, un petit Bombydou qui savait lire en sa dresseuse comme dans un livre ouvert élaborait déjà un plan, quoiqu’il fallait avant cela surmonter sa légère timidité quant-à son aîné s’il s’avérait qu’il devait passer à l’action.

“Je pense que même l'organisation la mieux entraînée du monde n'aurait pas pu être prête pour ça. Dans un chaos pareil, tout le monde se serait laissé déborder. J'ai vu qu'il y avait deux Champions sur place et même eux ont eu du mal à protéger tout le monde, alors qu'ils ont plus d'expérience”

Il était vrai que ces deux Champions avaient rencontré des difficultés, eux aussi. Pourtant ils avaient été deux, et au moins l’un d’entre eux n’en était pas à sa première crise à gérer sur l’île. Ralsen n’avait entendu le déroulé des événements de leur côté que par des agents qui s’étaient retrouvés au milieu de la bataille et dans la confusion globale. Ils en avaient aussi vaguement parlé lors du rapport sur le criminel qui avait réussi à s’échapper même après l’intervention du Général, mais comme tout ce qui était plus professionnel, les faits relatés semblaient toujours si lointains et impersonnels. Même les Champions et les Topdresseurs présents n’avaient pas su tout faire parfaitement… parce que c’était tout bonnement impossible. Mais c’était toujours plus facile de rassurer les autres que de se rassurer soi même.

“J'ai l'impression que ton Bombydou a envie de discuter avec Oberon”

Ralsen avait remarqué son compagnon tantôt s’agiter tantôt être trop calme. Plutôt du genre à avoir un fort caractère qu’il avait appris à tempérer, elle se demandait bien ce qui lui prenait. Le petit coeur de Bumbleby manqua un bâtiment quand le Rubombelle lui adressa un sourire et il fonça presque trop vite se réfugier dans les cheveux de son humaine. La secouriste essaya de le rassurer en caressant la joue de la petite fée d’un doigt. Oberon était le Pokémon d’une Championne, et dernièrement, Ralsen soupçonnait que Bee ait atteint le potentiel pour une possible évolution s’il le souhaitait. Il se donnait à fond depuis les émeutes, plus que d’habitude même. Peut-être ne voulait-il pas se ridiculiser devant son aîné et n’osait pas lui demander conseil ?

“Tu sais… J'ai l'impression que tu as une capacité en toi qui pourrait faire la différence, et que tu n'en as pas encore conscience. Et... je crois que ta Lucario le sent aussi”

À ces mots, la concernée répondit à l’affirmative par un simple sourire et croisa les bras d’un air satisfait, comme si elle attendait ce moment depuis le départ. Ralsen, elle, n’en était que plus confuse.

“Tu veux faire un test, pour voir si je me trompe pas ? Et au pire si je me trompe, je pourrais toujours te donner quelques conseils pour l'entraînement de ton Bombydou et ton Doudouvet ! Je suis sûre que leurs ainés seraient ravis de les aider”

Un test ? Un test de quoi ? Et quel rapport avec la Lucario ? Elle pensait qu’elle l’avait suivi simplement suite à leur entraînement commun. Elle avait été seule dans les Monts, ça ne lui avait paru pas plus étrange que ça qu’un Pokémon Combats s’y entraîne autant que certains dresseurs et leur équipe. Bien sûr elle connaissait ce qu’on racontait sur leur espèce, elle n’y avait pas réfléchi plus que ça, et puis, elle ne se voyait pas mettre un individu dans le même panier qu’une espèce entière. Mais elle se souvenait aussi de sa rencontre avec Bee qui s’était déroulée de manière similaire. Le Bombydou lui avait toujours porté une attention particulière autant qu’il en portait à certaines fleurs proches de l’éclosion, avant même qu’il rejoigne son équipe. Un petit essaim entier en pleine migration, perdu dans les terres arides où Ralsen avait su faire pousser quelques plantes adaptées, jamais dérangé par la présence humaine qui les croquait sur le papier, enthousiaste même de leur visite journalière.

Bumbleby fit l’effort de sortir de sa cachette en étant nommé, laissant un peu d’espace à sa dresseuse, et déjà enthousiaste à l’idée de cet entraînement. Adhartan s’était mis à flotter joyeusement en réponse, le regard espiègle et les coins d’un sourire à peine visible au bord de son duvet.

“Euh… je veux bien” répondit-elle enfin. Quelque chose qui pouvait faire la différence… elle ne pouvait pas passer à côté de l’occasion, même si elle ignorait de quoi il s’agissait “Et, euh… Cette Lucario, elle fait pas partie de mon équipe, elle m’a juste… hem, suivi là” ajouta-t-elle en se grattant la joue avec un sourire gêné.

Le Pokémon aura bomba le torse de fierté, avant de ramener ses pattes pour se mettre en tailleur sur son siège, aussi confortablement inconfortable que cela pouvait être, et surtout, attentive sur ce qui allait suivre. Ralsen était nerveuse, elle ne savait pas à quoi s’attendre, et elle n’avait jamais été ni très douée ni très à l’aise avec les tests et les évaluations. Au moins, si elle se ratait, Inoke avait été assez gentille pour lui proposer une alternative malgré la journée chargée qu’elle avait eu.

“Alors… Je dois faire quoi ?”