[Terminé] L'amour du spectacle [ft: Cordélia]

Le Stellarium. Ce bâtiment avait toujours dégagé à ses yeux une aura de... elle ne saurait dire quoi, à vrai dire. Seulement, elle n'avait jamais vraiment osé s'en approcher. Était-ce à cause de son allure un peu pompeuse, qui la ferait ne jamais avoir l'air à sa place? A cause des gens qui y trainaient, qui elle en était certaine passaient une partie de leur temps à la regarder de travers? Ou à cause des types à l'air louche qui rôdaient parfois autour sans qu'elle ne sache trop pourquoi?

Quoi qu'il en soit, elle était actuellement dans les coulisses, et ressentait un très fort malaise. Graffiti était perché sur son épaule, le Tag-Tag aux mèches de cheveux cette fois turquoise l'avait suivie depuis le cœur de la forêt jusqu'ici, toutefois, il n'avait pas encore accepté d'entrer dans une de ses Pokéball. Star, lui, se tenait comme à son habitude aux côtés de sa compagne de voyage, mais n'osait pas s'en éloigner d'une semelle, tant pour veiller sur son amie que par méfiance de ces personnes qui le regardaient parfois d'un air un peu trop intéressé en s'apercevant de l'éclat de son pelage de Pokémon chromatique.

Lilith, qui venait de débarquer en ville, et qui avait donc toujours la crète bleu-nuit indésirée à laquelle elle avait eu droit en forêt, avait été traînée ici par un homme. Oh, pas de force heureusement, ou il n'aurait sans doute plus une dentition si parfaite. Elle avait commencé son séjour à Sanctuary comme chacun de ses séjours en ville. Elle s'était posée, avait mangé un morceau, puis avait trouvé un endroit un peu fréquenté - mais pas trop - pour jouer quelques morceaux de guitare, et donner un peu de la voix sur certains. Mais cette fois, elle avait été repérée par un homme qui avait l'air totalement désespéré après un coup de fil qu'il avait reçu.

Son morceau terminé, cet homme était immédiatement venu la voir, lui annonçant qu'il avait adoré sa prestation, et lui demandant avec des étoiles dans les yeux de venir assurer une partie du spectacle du jour au Stellarium, un de ses chanteurs l'ayant lâché au dernier moment. Une salle de spectacle de cette ampleur ne pouvait pas se permettre d'avoir un trop grand creux dans sa journée, et il avait vraiment besoin de quelqu'un d'autre. La musicienne n'avait jamais été ainsi repérée pour son talent auparavent, pas par des personnes qui avaient besoin d'une musicienne en tout cas. C'était l'une des raisons qui l'avaient poussée à quitter Galar, la région qui n'avait d'yeux que pour les Dresseurs.

Alors, elle avait peut-être répondu un peu vite. Accepté un peu vite. Avait-elle des regrets, maintenant qu'elle était sur le point de passer sur scène? Pas vraiment. Mais ce sentiment de malaise lui faisait avoir des appréhensions quant à sa prestation.

Elle entra sur scène avec Star, son ami simiesque préférant rester en arrière après quelques encouragements. Elle s'installa sur le siège haut qu'on avait bien voulu lui confier, plaça ses doigts sur les frettes de son instrument, souffla un grand coup aussi silencieusement que possible, et ferma les yeux pour commencer à gratter les premiers accords alors que le rideau se levait. Si elle restait dans son monde, comme elle le faisait d'habitude, il n'y avait aucune raison que les choses se passent mal, n'est-ce pas? Dans sa bulle, elle enchaîna donc quelques morceaux et chants, jusqu'à la fin de sa prestation. Aucune fausse note à déplorer, mais peut-être un certain manque d'entrain à cause de son malêtre. Les applaudissements assez mous, pour la plupart, qu'elle reçut à la fin n'aidèrent en rien à faire passer ce sentiment qu'elle n'avait rien à faire ici.

Ils attendaient sans doute quelqu'un d'autre, mais ce gars là avait annulé, elle n'y pouvait rien. Ils auraient peut-être préféré le genre de spectacle qu'on ne pouvait pas voir gratuitement, en sortant dans la rue? Tant pis pour eux, se disait-elle. Elle était venue ici pour se faire plaisir, pour une fois, pas pour les autres.

Elle quitta la scène après la baissé de rideau et fut directement accueillie par l'agent qui l'avait conduite ici, et qui avait toujours autant des étoiles dans les yeux, venant lui serrer la main avec tant d'énergie qu'elle manqua de faire tomber son précieux instrument.

— C'était IN-CROY-ABLE! J'ai eu tellement de chance de tomber sur vous, vous avez été PAR-FAITE!

— J'ai pas l'impression qu'ils aient été d'accord avec ça dans la salle, répondit-elle dans un rire nerveux, alors qu'elle profitait qu'il ai lâché sa main pour remettre son instrument à l'abri dans son étui.

— Oh, ils sont tout le temps comme ça à cette heure-ci, répondit-il avec nonchalence. Je vous ai pas donné un créneau facile mais vous m'avez sauvé la vie! Merci! Merci beaucoup! Tenez, prenez ma carte si vous avez be-.. non, vous savez quoi? Donnez moi vos coordonnées, je crois que c'est plutôt moi qui risque d'avoir besoin de vous un jour!

Pendant qu'ils échangeaient leurs numéros, l'homme lui expliqua qu'il n'était que de passage à Sanctuary, lui aussi. Il s'occupait de plusieurs artistes à travers l'île, et s'était aujourd'hui déplacé au Stellarium parce que plusieurs de ses protégés s'y produiraient dans la journée. C'était un peu rapide pour un contrat plus officiel, mais il semblait prêt à trouver de nouveaux crénaux pour la musicienne à d'autres endroits, si par chance ils se croisaient chacun durant leurs voyages. Lilith n'en revenait pas, son cœur battait la chamade alors qu'elle resta plantée là sans bouger pendant que l'agent s'était précipité annonçant aller chercher sa rémunération pour la prestation du jour, en lui demandant justement de ne pas bouger.

La vagabonde se ressaisit bien vite lorsqu'elle s'aperçut qu'elle était au milieu du couloir et gênait le passage, tant des artistes qui se préparaient à aller sur scène que des diverses personnes les assistant. Lilith finit par poser son étui à guitare à côté d'elle, contre un mur sur lequel elle se posa aussi, les mains dans les poches de son jean bordeaux alors qu'elle regardait tout ce petit monde aller et venir à un rythme effréné. Finalement, elle se sentait bien plus à l'aise ici, dans ces coulisses, que parmi les spectateurs de cet endroit. Une petite bulle où elle avait sa place, dans ce territoire complètement étranger pour elle.

Star était assis bien droit aux pieds de sa Dresseuse, regardant lui aussi les différentes personnes passer devant eux dans ce manège quotidien. La plupart étaient bien trop occupés pour faire attention à eux, quelques uns leur disait poliment bonjour en passant devant, bonjours auxquels son amie répondait avec le sourire. Le Stellarium avait l'air d'être un endroit vraiment plein d'activité où les choses ne s'arrêtaient jamais vraiment. En tout cas, c'était le cas ce jour là.

Finalement, quelqu'un vint les aborder, et Lilith posa les yeux sur cette jeune femme qui venait de lui poser une question. C'est sur une très belle jeune femme que son regard se posa, et la musicienne se surpris une seconde à la contempler avec de grands yeux de merlan frit. C'était comme si son cerveau se mettait à dysfonctionner à chaque fois qu'elle posait son regard d'émeraude vers quelqu'un qu'elle trouvait particulièrement agréable à regarder, avant de se ressaisir.

Celui qui ne se ressaisit pas de suite, par contre, c'était Graffiti, le Tag-Tag perché sur son épaule, qui la fixait lui aussi avec des étoiles dans les yeux. Alors que Lilith allait répondre à sa question, il approchait dangereusement sa main de la si jolie chevelure de Cordelia. Sentant venir la catastrophe, la fille des rues s'empressa d'attraper le petit singe dans ses bras et le garder contre elle pour qu'il ne puisse pas s'amuser à teindre les cheveux de cette femme en fushia ou on-ne-sait quoi.

— Alice Stair? Euh... non j'en sais rien. répondit-elle avec son accent typiquement galarien.

A ses pieds, le pauvre Star se posa la patte sur le visage en signe de dépit, avant de mettre un petit coup de boule dans la jambe de son amie pour la ramener sur terre. Il savait bien qu'aucun d'eux n'avait inventé l'eau chaude, mais elle avait tendance à oublier comment faire marcher le peu de neurones qu'elle avait lorsqu'ils court-circuitaient comme ça, à la simple vue de quelqu'un qui réveillait ses instincts de séduction.

— AH ALISTAIR! s'exclama-t-elle soudain, comme frappée d'un éclair de génie. Ouais, c'est moi, Lilith Alistair! se présenta-t-elle avec un grand sourire sur le visage, dévoilant ces canines étrangement grandes qui lui donnaient toujours ce petit air malicieux.

Cette fille la cherchait? Même si Lilith la trouvait particulièrement jolie il fallait l'admettre, elle avait bien senti à son simple regard que cette attirance n'était pas du tout réciproque. Habituée à séduire, elle avait aussi appris bien vite à repérer les petits signes qui montraient que, non, effectivement, son style trop particulier ne plaisait pas à la personne face à elle. Après tout ça ne servait à rien de se lancer dans une missions perdue d'avance. Alors, pourquoi cherchait-elle à la voir? La musicienne était absolument certaine de ne l'avoir jamais vue... peut-être connaissait-elle l'agent qui venait de s'absenter? Ou alors avait-elle fait parti du public?

Sentant que Graffiti était prêt à se tenir à carreaux, elle relâcha un peu son étreinte pour le laisser retourner se poser sur son épaule. Si Lilith avait bien compris que ses couleurs partaient facilement au lavage, il était hors de question que ce petit chenapan s'amuse avec les cheveux de toutes les personnes qui décidaient de croiser leur route. Le Pokémon simiesque s'assit donc sur l'épaule de sa nouvelle compagne de route, un air un peu boudeur sur le visage. Il aurait tant aimé avoir un nouveau modèle avec de si beaux cheveux pour laisser parler son art.

— Euh... Je peux... Enfin, j'peux faire quelque chose pour toi? demanda-t-elle ensuite, afin de savoir à qui elle s'adressait.

Lilith et Star s'échangèrent un regard pour le moins médusé devant une réaction à ce point stupide. Ce n'était pas la première fois que quelqu'un se mettait à piquer un caprice comme un enfant en l'entendant tutoyer quelqu'un, le vouvoiement étant encore pour elle une drôle de coutume qui n'existait même pas dans sa langue natale, mais il était rare que la réaction soit aussi terrible. Et une menteuse? A quel sujet? Son nom? De quoi parlait-elle, celle là?

Alors que son discours convaincu de sa propre bêtise continuait, la musicienne croisa les bras, n'affichant qu'un regard ennuyé avant de s'appuyer l'épaule contre le mur contre lequel elle aurait mieux fait de rester posée. Elle ne comptait pas l'interrompre, mais bien l'écouter déblatérer ses inepties jusqu'au bout. Devrait-elle faire exprès de bailler pour accenter sa provocation? Non, ce serait sans doute un peu trop. Ah, Graffiti, lui, ne s'était pas gêné pour le faire. Et... voilà qu'elle s'y mettait aussi par mimétisme.

Usurper le talent de qui? D'elle? Elle ne s'appelait pas Alice Stair sans n'avoir jamais rencontré d'homonyme avait, pas vrai? Pas vrai?? Pour qui se prenait-elle? Elle devrait sans doute lui retourner la question après cette petite crise de nerfs. Elle imiterait le look et l'accent de Galar? En voilà une qui ne devait pas y avoir foutu souvent les pieds. Jamais mis les pieds à Smashings? Était-elle vraiment en train de prendre son bled pour une capitale de la mode? Sa ville natale avait du bien changé depuis quelques années, mais à ce point... non, elle nageait sûrement en plein délire, comme depuis le début de sa tirade.

Finalement, elle parla de faire appel à la sécurité si elle ne faisait plus jamais "un coup pareil". Le coup pareil en question? Se présenter, visiblement. D'ailleurs, elle ne se gêna pas pour finir par le faire. Et ben voilà, Cordélia Dechanel... alors pourquoi était-elle en train de s'énerver toute seule déjà?

— C'est bon, t'as fini de t'écouter parler? rétorqua-t-elle après s'être assuré qu'elle ne partait pas dans un nouveau monologue.

Puis elle se redressa, gardant les bras croisés pour la regarder avec ce même regard fatigué d'avance par cette conversation. C'était bien dommage, dans d'autres circonstances, cette discussion aurait peut-être pu être bien plus agréable. Tant pis, ce n'était pas la première fois que la vagabonde perdait un round avant même qu'il ne commence, elle ne comptait pas s'apitoyer. Par contre, elle comptait bien montrer à cette petite peste qu'elle mérite le respect autant qu'une autre. Et s'il y avait besoin de la remettre à sa place pour ça, elle ne se gênerait pas pour le faire. Alors, avec le plus innocent des sourires, elle reprit:

— Si t'as rien d'autre à faire, j'attends quelqu'un. Alors appelle la sécurité si ça t'amuse, ils m'ont vue quand je suis arrivée et ils connaissent mon nom. Après tout ce sera que la deuxième fois que tu te ridiculises aujourd'hui, on est plus à ça près.

Autant le dire, elle n'était plus d'humeur à prendre sur elle. Entre les regards pleins de jugement lorsqu'elle était entré, le public qui n'affichait aucun entrain, et maintenant cette fille qui partait dans ses délires d'usurpation d'identité, c'était la goutte de trop. Si on voulait lui faire comprendre qu'elle n'était pas chez elle dans cet endroit, il n'aurait pas fallut s'y prendre autrement. Malheureusement pour eux, elle avait vécu dans la rue toute sa vie: chez elle, c'était partout.

— Très bien. Alors si tu es réellement celle que tu prétends, joue moi les accords que j'ai entendu sur scène plus tôt. Je me calmerais immédiatement et te présenterais mes excuses officielles.

La déduction de Lilith fut simple: cette fille n'était pas seulement têtue, mais un peu bête sur les bords. Non... c'était sans doute encore loin du compte. La musicienne haussa un sourcil, tant devant cette demande que devant son ton et ses manières un peu trop théâtrales. Que croyait-elle exactement? Qu'il suffisait que la première pimpèche de passage ne vienne en tapant du pied pour qu'elle lui offre un morceau? Si elle avait été du genre à s'écraser comme ça, elle n'aurait sûrement pas fait long feu dans les rues de Smashings.

Mais d'agacée, elle commença ensuite à serrer le poing. Comment ça, lui donner sa guitare? Cet instrument, c'était toute sa vie. Bien sûr, cette fille avait l'air d'être née avec toute une argenterie dans la bouche, elle ne pourrait pas comprendre ce genre de chose. Elle avait trimé toute sa vie avec ce seul instrument pour survivre, et il était hors de question que qui que ce soit n'essaie de la lui prendre. Heureusement, elle sentit la présente de son compagnon à côté d'elle qui l'incitait à se calmer, et qui parvint à l'empêcher de monter un peu trop vite dans les tons. Desserrant sa main, elle se pencha pour attraper son étui à guitare contre le mur et le remettre sur son épaule.

— J'ai rien à te prouver, se contenta-t-elle de dire sèchement. Et hors de question que tu poses un doigt sur ma guitare.

Au revoir le sourire innocent, au revoir l'air malicieux, elle ne lançait à son interlocutrice qu'un regard noir, alors qu'elle fourrait cette fois les deux mains dans les poches de sa veste en jean. Au moins comme ça, elle ne risquait pas de lui en coller une par réflexe, ce n'était pas l'endroit. Fort heureusement, une troisième personne fit bien vite son retour, le souffle un peu coupé sans doute par une marche trop rapide, ou... il n'avait quand même pas couru, si?

L'agent qui avait conduit Lilith jusqu'ici reprit un peu son souffle, avant de se redresser, de saluer de nouveau Cordelia, et de s'interrompre en sentant l'orage dans l'air. Le pauvre se fit aussitôt tout petit, mais osa quand même se racler la gorge pour attirer l'attention, et tendre sa paye du jour à l'intéressée.

— Mademoiselle Alistair, voilà pour votre prestation du jour, désolé de vous avoir fait attendre.

La musicienne soupira longuement pour essayer de redescendre en pression, avant d'adresser un sourire quoi qu'un peu forcé au nouveau venu, de récupérer sa récompense du jour, et de la mettre bien à l'abri dans sa poche sans même prendre le temps de compter quoi que ce soit.

— Merci.

La vagabonde prit ensuite le temps de se redresser, mettant ses deux mains sur son dos pour s'étirer un peu. Être ainsi tendue, c'était mauvais pour ses muscles comme ses articulations, mais ce petit étirement l'aida aussi à retrouver son calme, et à adresser cette fois un vrai sourire à son héros du jour.

— Désolée pour l'accueil, c'est un peu mal fréquenté ici, expliqua-t-elle en tournant les yeux vers la concernée.

Le pauvre manager sembla un peu perdu par cette désignation qui lui parut totalement hors de propos. Qu'est ce qui avait bien pu se passer, ici? Réalisant ensuite qu'il ferait mieux de jouer les médiateurs, car ce genre de conflit était mauvais pour les affaires, il s'empressa d'expliquer:

— Oh! Vous ne connaissiez pas Mademoiselle Dechanel? C'est une mannequin de renommée internationale, et elle commence même à percer dans le cinéma. Sa présence récente à Maïlys est un honneur.

Devant l'air circonspect de la musicienne, il enchaîna aussitôt, cette fois à l'adresse de la mannquin:

— Et je vous présente Mademoiselle Alistair. C'est une excellente musicienne que j'ai rencontrée aujourd'hui même, et... attendez, ce n'était pas elle que vous cherchiez, tout à l'heure?

L'un des sourcils de Lilith se leva presque de lui-même en entendant la présentation de la personne en face d'elle. Un honneur? Vraiment? Renommée internationale ou pas, elle ne pouvait concevoir qu'une personne soit si dédaigneuse envers ses semblables. Comment avait-elle pu prendre autant la grosse tête, exactement? Elle n'avait jamais eu l'impression que les célébrités de son pays natal aient tendance à prendre les autres de haut, du peu de fois qu'elle avait pu vraiment les voir. De même que les Champions faisant office de célébrités locales sur l'île du croissant. La plupart semblaient même très humbles. Lilith s'était sans doute sentie bien plus honorée par la présence de Méliodas, venu lui parler pendant l'un de ses concerts en plein air et ayant même accepté un petit combat amical contre elle, que par cette fille qui avait passé son temps à la toiser depuis qu'elle l'avait aperçue.

— Si! Absolument!

Au moins un problème de réglé.

— Cette île est réellement pleine de surprises et de talents insoupçonnés. Je vais mettre un temps fou à m'adapter.

Cause toujours. Si elle prenait plus le temps de regarder plus loin que son petit nombril, elle se serait déjà rendu compte que le monde était rempli de personnes talentueuses, chacune dans leurs domaines. Au moins, son rire gêné et son expression assez peu naturelle malgré ses efforts semblaient montrer un peu de gêne. Au vu de l'expérience qu'elle venait de vivre, la musicienne commençait même à douter qu'elle soit capable d'en sentir. C'était plutôt rassurant.

L'agent s'inclina poliment après avoir annoncé son départ, et se retira. Décidément, cette Cordélia semblait au moins vraiment gênée par son comportement, maintenant qu'elle s'était rendue compte qu'elle s'était bien plantée. Le regard de la vagabonde s'était fait moins sévère depuis l'arrivée du manager, mais elle conservait cet air agacé en attendant les fameuses excuses promises.

— Je... euhm... Tu savais que tu portais un prénom de démone? Je veux dire... c'est pour ça le look?

Un nom de démon? Si la jeune femme s'était souvenue de son identité des années plus tard, c'était parce que sa mère lui avait parlé de son prénom. Lilith. Elle n'avait pas parlé de démon, ou de monstre, seulement qu'elle lui avait donné ce prénom parce que Lilith n'obéissait à personne, qu'elle était libre par dessus tout. Elle avait toujours chéri ce prénom et cette signification, sans vraiment connaître toute l'histoire.

— Excuse-moi... ajouta-t-elle finalement après s'être raclé la gorge. Je t'ai fais sans doute une très mauvaise impression et j'étais persuadée que je défendrais quelqu'un. Je retire ce que j'ai put te dire... sauf une chose. J'aime sincèrement ta musique et je t'invite à continuer ce que tu fais, car ça touche les gens. Ceux qui ont un cœur et une âme, du moins. Le public ne t'a pas rendu hommage autant que tu le mérites et j'en suis peut-être aussi la cause car je suis passée vant toi. Cependant, s'il y a des personnes de bon goûts et je sais qu'il y en a, ils suivront ta progression et ascension, tout comme moi.

Des compliments? Des encouragements? Mais surtout, des excuses. La musicienne soupira longuement, après ces éloges assez inattendues, redescendant en pression au fur et à mesure que ce long souffle quittait ses lèvres. Elle redressa ensuite la tête, et décida de poser une dernière remarque avant d'accepter ces regrets.

— La prochaine fois que tu veux défendre l'identité de quelqu'un que t'as jamais vu... tu devrais t'abstenir, je crois.

Elle hésita ensuite un instant, jetant un coup d'œil à Star, qui semblait au moins satisfait que cette situation se débloque.

— Mais merci, ça me touche, finit-elle par dire avec un léger sourire. J'sais que je suis pas du tout à ma place dans un endroit pareil, mais tant que ma musique arrive à plaire j'ai pas besoin de plus.

Elle aurait sans doute été encore plus touchée sans cet agacement tenace après une telle scène. Elle avait beau avoir retiré ce qu'elle avait put dire, ces paroles avaient tout de même été prononcées, et elles restaient bien ancrées dans ce moment. En effet, ce n'était pas la meilleure première impression qu'elle aurait put faire, mais Lilith avait au moins l'espoir que cette gêne ne lui serve de leçon pour une éventuelle prochaine fois. Elle savait bien qu'elle était loin d'être la seule, atypique, marginale, à tenter de se faire une place dans ce genre d'endroit, et si elle n'était pas du genre à se décourager à la première remarque acerbe de la part d'une parfaite inconnue, elle savait bien que d'autres n'avaient pas la mentalité qu'elle avait pu se forger après toutes ces années de galère. Après tout, tout le monde ne s'appelait pas Lilith, celle devenue démone après avoir refusé d'obéir aux dieux.

— Han! Nan mais ça va pas?!

Une nouvelle surréaction, qui fit hausser un sourcil à la musicienne. Décidément cette fille avait de l'énergie à revendre... au moins elle semblait désormais décidée à l'utiliser pour autre chose que s'enfoncer toute seule, et c'était une très bonne nouvelle. Elle entrepris rapidement, regardant la vagabonde dans les yeux, pour la couvrir de paroles d'encouragement presque trop sérieuses.

Ce n'était pas que Lilith ne faisait pas confiance à ses talents de guitariste et chanteuse, au contraire. Elle avait forgé cette compétence dès son plus jeune âge, au fil d'expérimentations, d'essais, de persévérence et d'exercice intense durant des années et des années. Il ne suffisait pas d'avoir l'oreille absolue pour savoir jouer d'un instrument, et même si elle avait su gratter rapidement quelques accords entraînants, elle était tout à fait consciente du gouffre que représentaient ses progrès depuis qu'elle était gamine. Bien sûr, elle avait encore des tas de choses à apprendre et continuait de faire de son mieux pour s'améliorer, mais ça n'avait jamais été son talent, qu'elle remettait en doute.

Ce qu'elle pointait du doigt, c'était sa propre personne, son univers, son expérience dans la vie. Ce milieu, ces personnes, cette atmosphère... ce n'était pas quelque chose pour elle, et à vrai dire, elle doutait s'y plaire un jour. Elle était du genre naturelle, authentique, elle n'avait jamais appris à être un masque. En tout cas, pas ce genre de masque. Au contraire, elle avait du apprendre à montrer ses émotions avec plus de sincérité, appris à sourire, à froncer les sourcils, à ne pas bloquer ses larmes lorsqu'elles décidaient de couler. Maintenant qu'elle avait appris tant bien que mal au fil des années à comprendre et montrer ses émotions avec sincérité, il était hors de question pour elle de devoir les masquer, pour s'afficher comme plus parfaite et ne pas être regardée de travers.

Et la voilà repartie avec son vouvoiement. Qu'est-ce qu'ils avaient ces Maïlysséens à vouloir absolument séparer les personnes à qui ils parlaient? A croire qu'il préféraient classer les gens que développer leur vocabulaire. Pas question, elle se sentait déjà assez à la traîne comme ça dès que quelqu'un se mettait à utiliser des mots trop complexes, cette langue était bien assez compliquée comme ça sans qu'elle s'ajoute des handicap inutiles.

Puis, de nouveau, des encouragements, en demandant à ce qu'elle oublie tout ce qu'elle avait pu dire plus tôt. Facile à dire, mais la vérité était plutôt qu'elle se moquait bien des réflexions qu'une parfaite inconnue avait pu lui faire, finalement. Ce n'était pas la première, ce ne serait pas la dernière. En tout cas, elle semblait bien décidée à lui rappeler à nouveau qu'elle avait du talent, et que si elle s'était produite ici, c'était qu'elle le méritait. Le mérite... encore une drôle de notion qu'on aimait brandir comme un étendard, mais qui finalement ne voulait pas toujours dire grand chose.

Au moins, Lilith avait pu voir que cette fille avait bel et bien un bon fond, et que ce comportement durant leur rencontre était un énorme quiproquo ayant mené à ce moment gênant. Elle n'était pas méchante, elle n'avait simplement pas la lumière à tous les étages et se laissait emporter pour pas grand chose sans avoir peur de se tromper... ou plutôt en ayant un peu trop la conviction qu'elle ne se trompait pas. Elle lui proposa même de l'aide, pour se faire connaître, gérer sa popularité, et ne faire aucun faux pas. Elle proposait ça comme une manière de prouver sa bonne volonté de faire table rase de ce qu'il venait de se passer.

Il y avait presque une certaine innocence dans tout ça, et la musicienne ne put s'empêcher de rire un bon coup après tant d'éloges. C'était très gentil, vraiment, et ce rire n'avait rien de moqueur... c'était peut-être la pression qui redescendait un peu trop vite après tout cela?

— Excuse-moi, lança-t-elle bien vite en se rassaisissant, avant de racler sa gorge. C'est vraiment sympa, répondit-elle après tout cela. Et ça me ferait plaisir d'avoir quelques conseils, avoua-t-elle également, mais je crois que j'ai autre chose à penser que ma popularité, en ce moment.

Elle avait dit ça avec le sourire, pour ne pas dramatiser sa situation. Ce jour, ce moment, lui était tombé dessus parfaitement par hasard alors qu'elle vivait son train de vie habituel. Bien sûr, cela lui avait fait énormément plaisir, et la rapprochait un peu plus de son rêve d'enfance. D'ailleurs, elle aurait sans doute dit oui sans une once d'hésitation, il y a à peine deux ans. Jouer de sa musique devant un plus grand public, être de plus en plus visible, et surtout, donner le sourire à plus de monde encore.

Mais aujourd'hui, sa musique lui paraissait bien futile. Si cela restait sa plus grande passion, son gagne-pain, et qu'elle gardait ce rêve au fond d'elle, elle avait aussi pris conscience qu'elle voulait une autre place dans ce monde. Que si elle voulait rendre les gens heureux avec sa musique, il fallait que les gens ne vivent plus dans la crainte de la mort. Cordelia n'en avait peut-être pas conscience, arrivée récemment sur l'île, mais Maïlys était un endroit dangereux, et même les sourires les plus sincères y avaient un arrière-goût... amer.
Sa priorité aujourd'hui, était de devenir assez forte pour pouvoir protéger les habitants de ce nouveau chez-elle. De ne pas se retrouver aussi impuissante que... ce jour là. Elle en avait encore des frissons, et n'avait encore jamais osé retourner à New Lakit depuis. Quand cette île sera enfin en sécurité, elle pourra de nouveau jouer l'esprit tranquille, et se consacrer entièrement à sa musique. A condition que ce moment arrive un jour.

— Oh, pardon! s'exclama-t-elle soudain en lui serrant la main pour ne pas juste la laisser là en suspens. Je sais que ta proposition est sincère, et je t'en veux pas pour tout à l'heure. Enfin, pas vraiment, lâcha-t-elle tout de même dans un ricanement teinté de malice. On peut bien balayer ce qu'il s'est passé et repartir du bon pied.

Ce fut autour de Star, de japper avec enthousiasme pour montrer son approbation, alors que sa Dresseuse se redressait et fit rouler son épaule pour remettre correctement la lanière de l'étui qu'elle tenait dans son dos, et l'y maintenir avec le pouce. Elle se redressa un peu, avant d'expliquer son raisonnement à la nouvelle venue sur le croissant.

— Comme t'es arrivée y a pas longtemps sur l'île, je sais pas si on t'en a déjà parlé... Mais Maïlys a connu quelques malheurs ces dernières années. Des catastrophes de grande ampleur. J'en ai connu qu'une, y a presque deux ans maintenant, et... enfin, mon rêve c'est de donner le sourire au monde entier avec ma musique. Et j'ai bien compris que c'était difficile pour les gens d'ici de sourire. Ils ont tous peur de la mort.

C'était un discours qui pouvait faire froid dans le dos, pour quelqu'un qui venait à peine de débarquer... mais il fallait avouer que Lilith aurait elle-même aimé être au courant avant de poser le pied ici, pour mieux s'y préparer. Elle était arrivée ici, toute innocente avec seulement Star, sa guitare, et une couverture... et elle avait fait face à des atrocités qu'elle ne saurait même pas décrire, sans le moindre avertissement. Elle n'avait tout appris sur cette histoire de porte et de Némésis qu'après ces évènements.

Après cette annonce un peu étonnante, elle se redressa, et laissa filer un long soupir avant de reprendre avec le sourire.

— Enfin, finalement je veux bien de tes conseils, ça peut pas me faire de mal, avoua-t-elle, consciente que la jeune femme en face d'elle était bien plus rodée qu'elle pour ce milieu. Mais je peux pas te promettre de pouvoir les appliquer de si tôt, conclut-elle simplement avec honnêteté.

— Oui, j'ai entendu dire que l'île souffrait politiquement parlant, qu'il y avait eu des guerres terribles... Si toi tu veux rendre le sourire par la musique, à moi, on m'a demandé ma présence pour rassurer, si je peux dire.

Lilith ne su dissimuler une certaine surprise. Décidément, elles étaient bien plus semblables qu'il n'y paraissait, ou en tout cas, avaient certains points communs non négligeables, et c'était plutôt étonnant au vu des circonstances de leur rencontre.

— Pour tout te dire, je devais d'abord montrer mon soutien à l'armée de l'île... Cependant, j'ai proposé une autre alternative à mon manager. J'aimerais promouvoir Maïlys autrement qu'avec des soldats en featuring... Je veux me faire ma propre idée et décider de moi-même, si je prends partie ou non. Je ne suis pas une super-héroïne après tout! Même si j'en suis pas loin.

L'armée de l'île? La musicienne n'avait pas souvenir d'avoir déjà vu une armée à Maïlys... à part... Oh, elle devait sans doute parler du STERN, cette milice créée assez récemment pour aider les Champions et former les Dresseurs de l'île pour combattre les menaces constantes. Alors, elle devait au départ promouvoir cet organisme, mais avait choisi de se faire son propre avis avant? Là encore, c'était plutôt étonnant au vu de la vitesse à laquelle elle l'avait jugée sur sa simple apparence. Au moins, elle savait réfléchir avant de s'emporter sur des décisions importantes... cela devait faire parti des bases lorsqu'on était populaire, sans doute.

Avant que Lilith ne puisse faire une remarque sur ce sujet, parler un peu plus précisément sur le STERN, Cordelia se retrouva à côté d'elle, son téléphone en main prête à prendre un petit selfie avec elle.

Allez! Je veux une photo et ton numéro! Bien sûr, je te fais confiance pour ne pas le donner ou le vendre... c'est usant de changer de numéro sans arrêt.

— Oh- euh... ok, attends, dit-elle en se débarrassant de son étui à guitare pour en sortir son Motismart, bien rangé dans la poche avant.

Elle ne l'avait en poche que depuis quelques courtes semaines, et savait à peine s'en servir. Heureusement, malgré qu'elle soit incapable de comprendre la moindre indication textuelle, elle arrivait à se débrouiller en navigant grâce aux nombreuses icones assez intuitives, dont on lui avait expliqué les différentes fonctions à l'achat. Photo prise avec un sourire un peu... confus, mais non moins empreint d'enthousiasme, avec une oreille discrète de Graffiti dans un coin qui avait décidé de s'incruster à la dernière seconde, et numéro partagé, elle sembla étrangement encore plus détendue, comme si cet échange avait terminé d'effacer ces débuts très gênants entre elles.

— Comme ça, on pourra papoter comme on veut et se retrouver plus facilement! Rien qu'avec cette photo, ma communauté voudra en savoir plus sur toi!

— Ça marche, répondit-elle simplement en rangeant son appareil dans la poche de sa veste cette fois.

Même avec ça, il allait sans doute être plus difficile pour elles de se retrouver qu'on pourrait le penser. Lilith était sans cesse sur les routes et ne tenait pas en place, autant dire qu'il était compliqué de l'attraper. Avant qu'elle ne possède ce téléphone bien pratique, il relevait presque du miracle de tomber sur elle plus d'une fois après l'avoir rencontrée. Mais ce n'était qu'une preuve de plus que les choses commençaient à changer... sa vie n'en serait que moins solitaire, finalement, et elle devait commencer à l'accepter: elle ne pourrait pas continuer à rester sans cesse seule. Même si elle appréciait cette petite vie tranquille à naviguer au gré des vents, et toute la liberté qui accompagnait la solitude, elle ne pourrait jamais avoir le moindre impact sur le monde sans s'entourer des bonnes personnes, de soutiens comme de gens à soutenir.

— Ah! s'exclama-t-elle ensuite comme si elle venait de se souvenir d'une chose dont elle voulait parler. Et c'est plutôt cool que tu cherches à te faire ton propre avis sur ce qu'il se passe ici. J'espère que les mauvaises personnes essaieront pas de t'utiliser. Enfin, ton image je veux dire.

Il y avait bien trop de choses qui ne tournaient pas rond, ces derniers temps, notamment après les émeutes qui avaient frappé la capitale. Le changement de direction du STERN, plus strict et surveillé, et elle avait entendu parler de ce cambriolage raté orchestré par Abyss... Elle qui avait bien du mal à suivre les actualités ne savait pas trop quoi penser, mais elle qui avait été présente dans ces rues transformées en véritable champ de bataille était sûre d'une chose: les Maïlysséens avaient besoin d'être protégés dans ce conflit. Ils se retrouvaient encore trop souvent pris entre deux feux sans ne pouvoir y faire quoi que ce soit. Savoir qui était dans le vrai ou le faux, qui était le méchant de l'histoire, ne servait pas à grand chose si on ne parvenait pas à aider les victimes.

En tout cas, l'image de quelqu'un d'aussi connue que Cordelia, fraîchement débarquée sur l'île et encore trop peu au courant de toutes ses affaires, ferait forcément une cible de choix pour une organisation mal intentionnée cherchant à redorer son blason. Soutenir les habitants de l'île du croissant de façon générale restait pour le moment encore l'option la plus sage, dans une situation comme la sienne.

— Alors du coup toi t'es... mannequin, c'est ça? demanda-t-elle, essayant de relancer un fil à la conversation. Ça doit être pour ça que je t'avais jamais vue avant, les magazines c'est pas ma tasse de thé, supposa-t-elle.

Et évidemment, elle serait bien incapable de les lire. Quant à simplement regarder les photos, elle n'y voyait pas grand intérêt. La seule mannequin qu'elle avait finalement eu l'occasion d'admirer était Donna, la Championne de Galar, mais dans des circonstances bien différentes, grâce à son deuxième métier, et au cœur de son arène à Skifford.