[Terminé] Le Grand Megapagopolis Hotel

Pour l'instant tout se passait sans encombre. C'était le bordel à l'étage mais pas au point qu'ils lachent les chiens, on les avait pas encore repérés et, surtout, Axelle avait fait un boulot de professionnel en crochetant successivement les différentes portes qui s'offraient à elle. Au final le duo de choc était arrivé à destination en un temps record et avec une casse minimum. Bon, il faudrait définitivement que Lyndia retrouve Skull Kid dans tout ce foutoir, mais elle était persuadé que le petit spectre saurait retrouvé sa route. Au pire, il savait où était l'hôtel où ils résidaient en ce moment et c'était pas très loin d'ici.

Puis vint le moment de se reposer. Après avoir quelque peu pianoté sur sa clé et donné une série d'ordres à Lyndia que celle-ci s'empressa d'exécuter le plus promptement possible, Axelle s'assit dans un coin de la pièce et invita la jeune dresseuse à la rejoindre. Ce qu'elle fit, se collant sans réelle gêne à sa collègue. Leurs bras nus se touchaient complètement tant elles étaient à l'étroit dans cet endroit. Puis la jeune femme aux cheveux courts brisa le silence qui commençait à s'installer. Ce qui ne manqua pas de faire sourire Lyndia.

"Ahaha. Non, ne t'en fais pas. J'ai juste fait un peu de brouillard avec Marine. Marine, c'est ma Venalgue. Ils doivent être en train de finir d'évacuer l'air actuellement. Après je suppose qu'ils vont tout vérifier dans les cuisines et s'ils se rendent compte que tout va bien ils reprendront la soirée comme si de rien n'était..... enfin j'espère !"

Conclut-elle avec un petit rire nerveux. C'était trop excitant. Elle avait beau faire la pro, se prendre pour Sparkle Moon, justicière à plein temps, la vérité c'était que Lyndia était une adolescente de quinze ans qui débutait tout juste. Même si son niveau en combat de pokémon ne pouvait plus être considéré comme celui d'une débutante, elle n'avait pas fait face à tant de situation dangereuses que ça et n'avait pas le recul d'âge nécessaire pour savoir garder son sang froid en toutes circonstances. Pour elle, c'était un peu comme une pyjama party. Mais avec quelqu'un qui l'écoutait à la place de Twinkle Star qui avait tendance à monopoliser la conversation, si agréable fut-elle.

Du coup, dans son esprit encore un peu immature et galvanisé par l'importance de la situation, elle se laissa emporter et saisit la main d'Axelle dans la sienne, entremêlant leurs doigts pour maximiser la complicité de ce geste. Un nouveau rire amusé quitta ses lèvres et elle se mordit la lèvre inférieure en regardant les réseaux qui les entouraient.

"Ca leur apprendra à la Némésis, tiens ! J'espère qu'ils s'en mordront les doigts pendant longtemps !"

Le temps passait et Lyndia réalisa qu'elle ne savait pas grand chose, voire rien du tout, sur son acolyte de la soirée. Sinon que son caractère lui plaisait, qu'elle était une justicière comme elle et qu'elle avait vu naître entre elles une complicité encore plus vivace que celle qu'elle avait trouvé avec Twinkle. Et vu qu'elles étaient coincées là pour un moment, c'était l'occasion d'en apprendre plus sur Axelle.

"Tu dois être balaise pour faire des jobs aussi important aussi jeune, non? Je veux dire tu dois avoir le même âge que moi et tu pirates déjà les réseaux de la Némésis! C'est la super classe. Comment t'en es arrivée là?"

Axelle écouta la jeune fille raconter l'histoire du Brouillard et de sa Venalgue, plus captivée pas le son de sa voix que par ce qu'elle racontait. Son petit rire étouffé à la fin de sa phrase fit bondir son coeur, qui s'arrêta totalement - du moins en eut-elle l'impression, elle n'y connaissait pas grand-chose en biologie et plus aucune pensée ne lui traversa la tête pendant un bon moment, de toute façon.

Elle resta là, pétrifiée, la main prise dans les doigts de Lyndia. Celle-ci avait plutôt l'impression de considérer cette accolade comme ce que font les meilleures amies quand elles vivent une situation trop excitante de la vie et du monde comme par exemple "hiiii ma chérie je t'ai pas vue du weekend tu m'as tellement manqué hiiiiii". Mais dans la tête d'Axelle, qui manquait cruellement de contact physique et d'amis depuis ces derniers mois - elle n'avait jamais été très proche de son frère, mais elle n'était jamais parvenue à nouer aucun lien d'amitié avec les filles des bandes ou de la Némésis - la chaleur des mains de Lyndia contre les siennes et l'odeur de sa peau qui chatouillait ses narines la secouait au plus haut point.

La phrase suivante de Lyndia n'eut droit qu'à un mince "mhm" d'approbation, tant Axelle était dans les nuages. En revanche, celle d'après méritait un peu plus de réflexion :

"Tu dois être balaise pour faire des jobs aussi important aussi jeune, non? Je veux dire tu dois avoir le même âge que moi et tu pirates déjà les réseaux de la Némésis! C'est la super classe. Comment t'en es arrivée là?"

Axelle tenta de reprendre ses esprits, mais peine perdue. La proximité de Lyndia l'embrouillait, mais comment était-ce seulement possible ? Comment pouvait-elle se retrouver muette alors qu'elle avait toujours un mensonge parfait sur la pointe de la langue ? Elle tenta :

"Ah, euh, hrm. C'est, comment dire, assez compliqué en fait..."

Il fallait trouver quelque chose. Vite. Ne pas la laisser douter. Tout à coup, l'idée que Lyndia pût savoir qu'Axelle fît partie de ses ennemis jurés (deux imparfaits du subjonctif, je crois que ça ne m'était jamais arrivé) transperça la jeune fille comme un fer de lance chauffé à blanc. Le mensonge se mit en place de lui-même.

"Si tu veux tout savoir, j'ai perdu mes parents assez jeunes. Avec mon frère, on a dû se débrouiller un peu tous seuls, on était chez notre oncle qui était un peu... Comment dire... Il ne s'occupait pas trop de nous quoi, il nous considérait comme des adultes. Il nous a appris beaucoup de choses, mais on n'était pas des enfants à ses yeux. C'est lui qui m'a appris ce que je sais des ordinateurs.
Il est mort il y a peu de temps : il faisait partie d'une communauté de hackers qui a décidé de pirater les serveurs et les sites de la team Némésis. Pas de bol, il s'était mal préparé, et les mecs qui lui ont mis la main dessus l'ont tabassé. Il s'en est pas sorti.
C'est pour ça qu'aujourd'hui j'ai contacté une agence de renseignement privée qui travaille pour le compte de la Ligue. Ils étaient sceptiques au début, mais ils m'ont prise à l'essai, et finalement ils m'ont acceptée parmi eux. J'ai encore beaucoup à apprendre, mais je peux passer inaperçue dans des événements comme celui-ci, où leurs agents seraient bien plus voyants...
Enfin... Je veux pas t'ennuyer avec tout ça, c'est pas joyeux-joyeux mais aujourd'hui je gagne ma vie et je peux faire tout ce qui est en mon pouvoir pour arrêter la team Némésis."

Le sang d'Axelle battait à ses tempes, et ses mains étaient moites. C'était un mensonge simple pourtant, le scénario de base de n'importe quel film d'action au héros torturé, pourquoi avait-elle tellement galéré à le restituer ? Et pourquoi son corps la trahissait-il de cette façon ? Tout à coup, elle eut l'impression d'avoir très chaud, malgré la salle climatisée. Elle ressentait son visage comme piqué par mille minuscules aiguilles qui la paralysaient un peu. Quelle drôle de sensation.

Elle secoua la tête, reprit un semblant de souffle et continua :

"Mais, et toi alors ? Tu ne m'as pas dit pourquoi tu étais ici non plus."

Changer le sujet de conversation vers des sujets moins glissants. Enfin, façon de parler : tous les sujets semblaient glissants pour Axelle tant que Lyndia était impliquée.

Lyndia se sentit un peu mal à l'aise. Pas à cause de la réponse de son interlocutrice, mais par la sensation d'avoir mis, encore une fois les pieds dans le plat avec une question indiscrète tant sa réponse lui parut tragique. Par pudeur et par gêne, elle lâcha la main d'Axelle et replia les genoux sous son menton en se maintenant les poignets. Elle n'eût le temps que de murmurer un petit "désolée" avant que la jeune femme aux cheveux courts n'enchaîne sur la suite de son histoire. Lyndia ne put retenir un petit rire. Consciente que cela pouvait être assez mal interprété au vu de la situation, elle décida de s'expliquer au plus vite.

"Je suis contente." Commença-t-elle. "Je n'ai pas eu une vie aussi mouvementée que la tienne. J'ai toujours vécu une existence paisible avec mes parents à Troupommay, dans les Hauts Monts. Et je n'ai entamé mon voyage de dresseuse qu'il y a quelques mois à peine. Mais du coup je suis partie seule et j'ai pas vraiment eu la chance de me faire beaucoup d'amis jusqu'à présent. Les rencontres que l'on fait en tant que dresseurs sont assez fugaces après tout. Au final, il n'y a qu'une personne que je puisse compter dans mes amies proches et avec qui je garde un contact fréquent. Comparé à ce que j'avais à la maison, c'est assez peu."

Son sourire s'était peu à peu mué en un air d'une profonde nostalgie. Mais son visage gardait une expression heureuse malgré tout.

"Je ne me fais pas d'illusions. Je sais qu'après cette mission, il y a des chances qu'on ne se revoit plus. Même si je t'avoue que j'aimerais rester en contact. Mais je suis contente. Même si cette mission m'excite au plus haut point, j'ai eu un peu peur qu'une fois passée nous n'ayons plus grand chose à nous dire. Mais en vérité tu t'ouvres à moi comme je pourrais m'ouvrir aux autres. Ca me fait du bien de rencontrer quelqu'un de sincère comme toi! Je suis sûre que nous pourrions faire de grandes choses si on avait l'occasion de se voir d'avantage, hahaha..."

Elle se rendit compte de ce qu'elle venait de dire et se ravisa.

"Hem. Pardon, c'était un peu bizarre. On ne se connait pas après tout, j'ai tendance à m'attacher et à m'ouvrir trop vite aux autres. Excuses moi si je t'ai mis mal à l'aise..."

Un silence. Elle n'osait pas trop se rapprocher d'Axelle ou prendre sa main afin de maintenir la distance d'intimité qu'elle s'imposait afin d'éviter de bourder à nouveau. En revanche, maintenant que l'adrénaline de la mission retombait et que l'heure avançait, Lyndia fatiguait. Son visage se pencha, rêveur, sur le côté et ses cheveux vinrent caresser l'épaule nue d'Axelle sans qu'elle ne s'en aperçoive. Lyndia était détendue à ses côtés. Elle n'avait pas l'impression de devoir surveiller ses propos comme avec Bahia ou de devoir péter la forme à tout prix comme avec Twinkle. C'était une situation unique qu'elle n'aurait pas imaginé pouvoir vivre de sitôt. Mais maintenant qu'elle y était, elle avait l'impression de ne pas vouloir s'en défaire.

Axelle écouta sans un mot le discours de Lyndia, non sans un pincement au coeur lorsque cette dernière avait retiré sa main de la sienne. Tandis qu'elle parlait, Axelle se recroquevilla sur elle-même, en l'écoutant raconter qu'elle savait qu'elles ne se reverraient plus jamais. Même si la jeune fille lui assura qu'elle voulait la revoir et qu'elles pourraient faire de grandes choses ensemble, Axelle sentit sa gorge se nouer : après tout, ne faisait-elle pas partie du camp de ses ennemis ? Quelle serait la réaction de Lyndia si elle apprenait qu'en fait elle avait posé un mouchard sur le réseau de l'hôtel pour pouvoir préparer un attentat de grande envergure ? Même si les plans de la team Némésis étaient bien plus importants qu'une simple explosion ou une prise d'otages dans un hôtel, comment pouvait-elle se prétendre digne de la confiance de Lyndia, et continuer à la regarder dans les yeux...?

"...m'ouvrir trop vite aux autres. Excuses moi si je t'ai mis mal à l'aise..."
"Ah, euh, non, t'en fais pas..."

Axelle jura intérieurement : portée par le doux son de la voix de la jeune fille, les mots lui étaient passés par-dessus sans l'effleurer, altérant sa compréhension du discours global. Un silence s'installa à nouveau, et Axelle reposa sa tête contre le mur. L'heure avançait, et elle était debout depuis longtemps. La tête de Lyndia se rapprocha de la sienne, et une douce somnolence s'empara d'elle.


La jeune fille se réveilla en sursaut, bousculant sans le vouloir Lyndia qui était endormie sur son épaule. Paniquée, elle sortit son téléphone et regarda l'heure : presque cinq heures du matin. A cette heure-là, les derniers fêtards étaient partis se coucher (ou l'hôtel les avait chassés sans ménagement). Merde. Comment sortir d'ici, maintenant ? Elles ne pouvaient décemment pas se pointer à l'accueil comme des fleurs "oui bonjour on s'est perdues". Pas à cette heure. Quelqu'un allait se douter de quelque chose. Axelle se leva et étira ses jambes engourdies, et dit à Lyndia :

"Bon. Va falloir qu'on trouve un moyen de sortir de là. Je pensais pas m'endormir mais, euh, hrm, bon bref. Là tout de suite, ils doivent être en train de tout ranger là-haut, parce que les invités sont partis. Faut qu'on trouve une solution pour sortir d'ici sans se faire repérer..."

Axelle tourna sur elle-même (la pièce était trop petite pour faire les cent pas), désespérée. Elle n'avait pas de solution. Elle se retourna vers Lyndia, en espérant que celle-ci avait une idée miraculeuse pour les tirer d'affaire.

Axelle n'était pas la seule à s'etre endormie sur l'épaule de Lyndia. Toute aussi épuisée qu'elle et portée par le même élan de tendresse que sa camarade, Lyndia se laissa glisser dans les bras de Morphée elle aussi, pour ne se faire réveiller que bien plus tard par le sursaut de son acolyte. La vache l'heure avait en effet vachement tourné. Il était temps de décamper. En se redressant, la jeune dresseuse sentit un poids glisser le long de sa jambe et un petit "bonk" se fit entendre à ses côtés. C'était Skull Kid qui les avait retrouvées et qui s'était aussi assoupi sur la cuisse de sa dresseuse. Le choc le fit se relever en se massant le crâne de douleur. Rassurée, Lyndia n'attendit pas d'avantage pour le rentrer dans sa pokéball avant de se retourner vers Axelle à son tour.

"Hmm. Et si on passait par les toits? Je veux dire, on est à Megapagopolis, non? Tous les toits doivent plus ou moins communiquer. Avec un peu de chance on pourra trouver une échelle ou un escalier de secours pas loin."

Comme dans Crobatman. Ou Dardaredevil. Tout ça quoi. Cela paraissait la solution la plus favorable compte tenu du fait que les étages principaux étaient effectivement sans nul doute fermés à triple tour de partout.

En remontant vers les étages supérieurs, les deux jeunes femmes durent se montrer particulièrement discrètes. Le silence qui régnait désormais dans l'hôtel faisait naître des émotions paradoxales dans le coeur de Lyndia. D'un côté elle se sentait rassurée que personne ne soit encore là pour les surveiller, de l'autre elle ne pouvait s'empêcher de penser que le moindre bruit suspect de leur part allait les faire repérer. C'est donc avec une précaution toute particulière que le duo monta les escaliers vers le toit.

Avec raison. Car arrivée à mi chemin, deux voix se firent entendre. Une voix d'homme et de femme. Apparemment occupés dans un hall voisin. Sans réussir à entendre tout ce qu'ils disaient, Lyndia devina que l'homme était un des domestiques de l'hôtel. Elle était presque sûre de reconnaître le pseudo videur qui avait voulu lui empêcher d'entrer dans les cuisines. Impossible de dire qui s'adressait à lui cependant. La voix lui disait quelque chose, mais c'aurait pu être n'importe qui. Le plus discrètement possible, la dresseuse brune se tourna vers Axelle et mit son doigt sur ses lèvres pour manifester la présence voisine qui aurait pu leur causer du tort.

"RAH!"

Lyndia sursauta. Dans le couloir qui donnait sur leur cage d'escalier, au niveau où les deux inconnus discutaient dans la salle voisine, un pokémon venait de faire son apparition, interpelant très clairement les deux jeunes femmes. C'était un Scalproie. L'hôtel était vide à cette heure après un gala de ce genre. Lyndia en était persuadée. Il ne faisait donc aucun doute que le pokémon était là pour monter la garde. Aussi la panique s'empara-t-elle d'elle en voyant ce monstre d'acier la pointer du doigt avant de s'avancer dans leur direction. Ni une ni deux la brune saisit la main de sa camarade et l'entraina au pas de course vers le toit. Au diable la discrétion maintenant, elles étaient repérées.

Fort heureusement pour elles le pokémon acier était trop massif et trop lent pour pouvoir les rattraper facilement. Il fallait prier pour que, une fois arrivées en haut, elles trouvent une piste pour s'enfuir le plus aisément possible. Sinon, leur carrière de justicières risquait de tourner court...

Lyndia proposé une idée ingénieuse : passer par le toit. Axelle hocha la tête, et la suivit dans les couloirs. En effet, l'escalier qu'elles avaient emprunté plus tôt montait vers les derniers étages, et les deux jeunes filles durent plus d'une fois se cacher derrière une porte, le coeur battant, en espérant que l'employé qu'elles entendaient dans le couloir n'aurait pas la mauvaise idée de descendre.

Leur escalade se passa sans encombre jusqu'au dernier étage avant le toit. Deux voix résonnaient dans le couloir, dont la porte était restée ouverte : les deux jeunes filles, discrètes comme des ombres, passèrent devant la porte sans se faire repérer. Mais à peine eurent-elles monté quatre marches qu'un grand cri retentit derrière elles :

"RAH !"

Le grognement, à moitié métallique, fit se hérisser tous les poils d'Axelle. Elle sursauta et dévisagea le Scalproie qui les pointait de sa lame. Le Pokémon menaçant s'avança vers elles. Sans plus attendre, elles se mirent à courir à toute vitesse vers le haut des escaliers. Heureusement, le Scalproie était plutôt lent, mais il les rattraperait inexorablement si elles ne trouvaient pas une issue rapidement une fois sur le toit.

Elles parvinrent haletantes à la porte qui donnait sur le toit. Fermée. Sans réfléchir, Axelle balança la Pokéball de Rocaille et lui murmura, paniquée :

"Défonce-moi cette porte, viiiite !!!"

Elle ne savait pas trop pourquoi elle avait parlé doucement, le cri du Pokémon métallique avait déjà donné l'alerte. Elle entendait des voix dans l'escalier, et le grincement du Scalproie se rapprochait. Ni une ni deux, Rocaille balança ses deux gros poings sur la porte, et celle-ci céda au bout de quelques secondes.

Elles bondirent à l'air libre, fébriles, et examinèrent l'espace. Aucun endroit pour se cacher, évidemment. Il y avait une échelle de secours à leur droite, mais si on les attendait en bas ? Axelle se précipita pour l'examiner, et à son grand soulagement, la contre-allée était déserte. Elle cria à Lyndia (d'une voix un peu trop aiguë à son goût) :

"Viens ! On peut descendre par là !"

Malgré le feu de l'urgence qui brûlait dans ses veines, elle se força à attendre que la jeune fille la rejoigne avant de débouler l'échelle de toute la force de ses bras.

La vivacité d'Axelle allait les sauver. Tant pour son aptitude à sortir son Racaillou au bon moment que par sa rapidité à repérer l'échappatoire la plus adaptée. Deux situations dans lesquelles Lyndia aurait rapidement pu paniquer et perdre un temps précieux. Consciente de cette faiblesse, Lyndia ne fit pas attendre sa camarade une seule seconde. Elle attrapa un pan entier de sa robe qu'elle noua au niveau de ses cuisses afin de pouvoir descendre l'échelle le plus rapidement possible sans risquer de tomber et suivit l'espionne aux cheveux courts qui était juste en dessous d'elle.

L'arrivée en contrebas fut donc particulièrement rapide et les deux jeunes femmes purent détaler à toute vitesse, disparaissant dans les ruelles sombre de Megapagopolis, alors que l'aube n'avait pas encore pointé le bout de son nez et que les lampadaires de la ville ne suffisaient pas à en révéler tous les secrets.

Le Scalproie posa un pied furibond sur la face du toit par laquelle les deux intruses s'étaient enfuies. Il n'avait pas besoin de descendre l'échelle, lui. Il pourrait sauter et reprendre sa course infernale pour les capturer. Mais une main sur son épaule l'avisa de s'arrêter la. Derrière lui, une femme aux longs cheveux rouges remit une de ses mèches en place en l'invitant à ne pas poursuivre les jeunes fuyardes. Le petit Ténéfix sur son dos ricana, se moquant ouvertement de son camarade d'acier. Ce dernier fit volte-face en poussant un grognement contrarié tandis que l'unique oeil émeraude de la femme suivait de loin les deux silhouettes qui s'évaporaient dans la nuit.

...

Lyndia était épuisée et essoufflée. Et probablement qu'Axelle aussi. Mais elles s'en étaient sorties. En constatant que le Scalproie ne les poursuivait plus, Lyndia bondit de bonheur et enlaça sa camarde en poussant un cri de joie absolument ravi.

"Hah! Pardon, excuse moi! Ahahah! C'était quelque chose! C'était génial! Tu nous as franchement sauvé la vie la bas! Tu gères en fait!" Les quelques bribes d'aube qui pointaient à l'horizon firent descendre Lyndia de son petit nuage. Elle se calma. "Le jour arrive. Je suppose qu'on ferait bien de rentrer. Tu dois probablement faire ton rapport de mission je suppose..." Elle sembla alors triste. Puis, secouant négativement la tête, elle sortit son PokéNav et le tendit vers Axelle.

"Tiens!" Commença-t-elle. "Je me suis trop amusée pour te laisser disparaître de ma vie comme ça. Donne moi ton numéro! Ou prends le miens, comme tu veux. Mais je veux qu'on puisse se revoir!"

Évidemment, si la brune aux cheveux courts l'envoyait bouler, cela risquait de finir en ban chatbox à vie. Ce qui serait regrettable.

Rushée par l'adrénaline, Axelle dévala l'échelle à tout allure en s'empêchant soigneusement de regarder vers le haut pour ne pas rater un échelon et s'éclater sept étages plus bas. Sa compère et elle atterrirent souplement au pied de l'immeuble, et s'enfuirent dans la ruelle pour échapper au regard perçant du Scalproie.

Si elle s'était retournée au dernier moment, Axelle aurait peut-être reconnu la célèbre Lyndia Dukos, homonyme de sa nouvelle amie (quelle drôle de coïncidence), et son Ténéfix sur l'épaule. Au lieu de cela, elle préféra se concentrer sur le fait de courir le plus vite possible et de mettre sa protégée en sécurité.

...


Plusieurs centaines de mètres plus loin, adossées à un muret, Lyndia et Axelle reprenaient leur souffle. Le Scalproie ne les suivrait plus, elles étaient en sécurité. La jeune fille aux cheveux courts commençait à prendre conscience de la terrible douleur qu'elle ressentait aux pieds (en même temps, courir dans la rue pieds nus à toute berzingue, c'est jamais très intelligent), quand sa collègue lui sauta au cou et l'étreignit. Son odeur fraîche emplit les narines d'Axelle et si celle-ci n'avait pas déjà eu le feu aux joues, elle aurait re-viré pivoine.

Lyndia la remercia, et lui tendit son téléphone. Axelle hésita une seconde. Devait-elle accepter et suivre son coeur ? Ou devait-elle refuser et plutôt suivre sa mission ? Lyndia n'avait pas l'air d'être quelqu'un de dangereux, ni de lié à la Ligue professionnellement parlant. Simplement une jeune Dresseuse qui souhaite faire le bien autour d'elle. Elle déglutit, et inscrit son numéro dans le téléphone de Lyndia. Habituellement, elle se serait appelée pour récupérer le numéro, mais elle n'osa pas le faire. Elle lui rendit son PokéNav, et lui répondit :

"Moi aussi, j'aimerais beaucoup. Hésite pas à me contacter si tu veux qu'on, euh, se fasse un ciné ? Par exemple ?"

Elle laissa passer un silence, puis se lança :

"Euh, bon, ben faut que j'y aille du coup. A la prochaine alors..."

Elle se rapprocha de Lyndia et lui fit un bisou rapide sur la joue, avant de filer sans demander son reste.

Le métro à cinq heures du matin était toujours aussi vide que d'habitude. Mis à part les quelques SDF qui dormaient dans les stations et les étudiants qui rentraient de soirée encore passablement bourrés, les wagons étaient déserts et silencieux. Parfait pour Axelle qui avait besoin de réfléchir un peu...

Elle aurait tout le temps, plus tard, de penser à sa chambre miteuse du QG Némésis, dévastée par son nouveau Pokémon qui ne lui causait que des problèmes. Elle aurait tout le temps de réfléchir à son rapport de mission. Elle aurait tout le temps de s'apitoyer sur les ampoules et les blessures qu'elle avait aux pieds.
Mais pour le moment, ses idées restaient embrumées par le doux parfum de Lyndia.

Le cœur de Lyndia manqua un battement lorsqu' Axelle déposa un baiser sur sa joue. Elle était une fille assez expansive et démonstrative. Aussi, sauter au cou de ses BEST FRIEND FOREVAAAAH ala Twinkle et se faire des poutou en remuant les jambes comme des poules, elle connaissait. Ça, c'était autre chose. C'était trop tendre, trop doux, trop timoré. C'était de ces baisers un peu plus chauds et humides que les bêtes accolades de lèvres sur une surface quelconque. Une myriade de petites différences subtiles que Lyndia n'avait ni l'âge ni l'expérience d'avoir expérimenté et qu'elle n'était pas en mesure de comprendre, mais qui eurent sur elle un effet terrible. Son sourire disparut, incapable d'identifier ce qu'elle venait de vivre. Et avant même qu'elle n'ait pu clarifier la chose avec Axelle, cette dernière disparaissait dans la nuit.

C'était elle, forcément. Elle avait mal compris quelque chose. Pourquoi ce simple bisou, cet acte tendre mais innocent, avait-il eu cet effet chez elle? Etait-ce ainsi que l'on embrassait dans la capitale? Les démonstrations de tendresse étaient-elles plus douces, plus subtiles? A ce point? Elle avait jamais eu de petit(e) ami(e) et n'en n'avait jamais ressenti le besoin (hormis bien sûr Taric-sama), mais était-ce à cela que ressemblait la sensation? Mais alors... pourquoi Axelle...

L'obscurité la dissimulait mais elle aussi, désormais, rougissait.

Ca n'est qu'après quelques longues minutes de blanc mental que la jeune dresseuse se rendit compte qu'elle avait froid et qu'il était grand temps pour elle de rentrer au bercail. Ce qu'elle fit. Le pas trainant à cause de la fatigue et l'esprit embué par des questions qu'elle ne s'était alors jamais posées.

Il n'y aurait qu'une façon pour elle de comprendre tout ça.

Rappeler et revoir Axelle.

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