Encore [Solo]

Une douce mélodie au volume beaucoup trop élevé retentit dans l’appartement alors qu’une faible lumière se frayait un chemin entre volets et rideaux. Un grognement se manifesta en provenance du cocon de lourdes couettes et une main en sortit, bataillant à tâtons pour faire taire le réveil. Il fallut quelques secondes de plus avant qu’une Charlotte aux cheveux emmêlés et aux yeux encore plein de sommeil n’émerge de son nid confortable.

Nouveau jour, même routine. La veille avait été plus mouvementée que prévu, son jour de repos s’était avéré moins reposant qu’elle ne l’aurait voulu. Une balade en solitaire avec pour seule compagnie son équipe et les Pokémons sauvages s’était bien vite transformée en une rencontre inattendue. Elle avait croisé une nouvelle arrivée sur l’île du nom de Milo, une passionnée des plantes en tout genre. Si Charlie s’adonnait à des randonnées ponctuelles, c’était bien pour éviter les gens, pourtant malgré ses réserves elle avait assez vite accroché avec la botaniste. Malheureusement, aussi sympathique qu‘avait été le trajet à deux, ça n’avait quand même pas épargné ses batteries sociales et son énergie.

Autant dire que sa nuit de sommeil n’avait pas suffit. Pour ne rien arranger, elle avait eu du mal à s’endormir. Elle avait l’habitude, ça pouvait arriver, surtout lorsque son anxiété décidait de faire des siennes, mais ça n’en restait pas moins désagréable. Dire que la veille n’avait été faite que d’une rencontre était un mensonge, les deux randonneuses d’un jour avait également fait la connaissance de quelques Pokémons sauvages qui s’étaient sentis d’humeur sociale. Il avait été vite facile de sympathiser avec un groupe d’Axoloto Paldéens et de Terraiste.

L’une des Terraistes s'était particulièrement bien entendue avec Pudding et Doppelganger. Les aux-revoirs n’avaient pas été faciles, Charlotte avait eu du mal à réconforter ses petits compagnons qui boudaient encore le soir même. Et puis à l’heure du coucher, seule avec ses pensées, elle s’était rendue compte qu’elle avait été affectée, plus qu’elle ne le pensait, elle avait simplement été trop épuisée pour s’en rendre compte avant.

Le petit déjeuner se fit dans un silence plus… grognon que d’habitude. Missy regardait sa dresseuse s’énerver au moindre problème insignifiant sans un mot, il était trop tôt pour qu’elle soit réceptive à quoi que ce soit de toute façon alors à quoi bon. Elle se calmerait bien vite une fois au travail, se disait-il, avec de quoi l’occuper. Il garderait un oeil plus attentif que d’habitude juste au cas ou.

Lunette de soleil sur la tête en cas d’éclaircie sur le chemin, casque autour du cou qui finirait bien vite sur ses oreilles au premier bruit, Char passa la porte de son immeuble pour… finir face contre terre la seconde d’après. Tout s’était passé trop vite pour que son cerveau comprenne quoi que ce soit. À peine un pas à l’extérieur à affronter le froid après une nuit neigeuse, son pied avait buté contre quelque chose sans qu’elle ne s’y attende. Au moins, la couche de neige avait été assez épaisse pour amortir sa chute, même si son visage devait survivre à la morsure du froid. D’ailleurs, son visage avait peut-être fini au sol, mais une grande partie de son corps… ne l’était pas ?

Charlotte se relevant tant bien que mal et manqua de tituber en arrière à cause de la masse sur laquelle elle était tombée. Après s’être débarrassée de la neige sur son visage, elle put enfin voir quel était le coupable. Elle n’en était que plus confuse. La Terraiste de la veille se tenait là, à Bordeciel, le regard pétillant et avec un grand sourire. Char se frotta les yeux, elle avait frappé de tête ? Elle avait une commotion cérébrale ? Non, le Pokémon était bien là en chair et en blob. Le trajet avait dû lui prendre au moins toute la fin de journée et la nuit entière. Comment avait-elle même grimpé jusque là ? Et surtout qu’est-ce qu’elle faisait là ?

Char entendit son vieux compagnon souffler du nez à côté de lui. Oh. Encore. Ce n’était pas la première fois et elle espérait que cela soit la dernière - celle-là n'avait juste pas pu s’accrocher ou se planquer dans un sac avec sa taille colossale et son poids astronomique. Elle n’était pas sûre de pouvoir s’occuper d’un autre Pokémon, elle envisageait déjà de la raccompagner dans les tourbières après le travail, quand…

La Terraiste se mit à chanter.

Charlotte ne comprit pas de suite, sur les premiers sons elle croyait que le Pokémon essayait de lui parler. Et puis à force, elle commençait à entendre les notes. Ce n’était pas parfait, c’était même un peu bizarre, on était loin des performances des espèces naturellement enclines à la musique et au chant, mais le Pokémon y mettait tout son coeur. Encore quelques instant et Char reconnut la mélodie, Doppel l’avait siffloté durant une partie du trajet dans le marais, alors morphé en Passerouge. Elle n’avait pas fait attention à ce moment-là, mais c’était un morceau qu’elle jouait un peu automatiquement lorsque l’envie de sortir son clavier venait.

Allez savoir si c’était l’effet de la brise sur son visage encore humide de neige qui lui transperçait la peau ou si c’était le trop plein d’émotion au petit matin, mais quelque chose avait réussi à lui arracher une larme à chaque oeil. Elle se ressaisit pour applaudir la performance et féliciter l’artiste qui, trop contente, roula un tour complet au sol. Son enthousiasme fit rire Charlie. Elle allait devoir s’arrêter en chemin pour un rapide achat.

“Hey, je connais une Oratoria qui sera sûrement ravie de t’apprendre à chanter. Ça te dit ?” proposa-t-elle, accroupit au niveau de la Terraiste. L’approbation fut instantanée, et le contrat scellé. Un Pokémon de plus, ce n’était peut-être pas si mal.