[Terminé] La marche de l'être maudit [Eden]

SALIZYR – Allons Flumoc, qu'est-ce que c'est que ces manières, tu pourrais demander avant !

Comme s'il se faisait gronder par son père, Flumoc baissa le regard sans s'essuyer les deux gouttes de lait qui coulaient de sa bouche.

FLUMOC – Mais j'avais soif...
SALIZYR – Il va falloir grandir, Flumoc. Un jour tu seras un grand Miasmax, tu ne pourras pas continuer à te comporter comme un gamin.

Les mots étaient un peu dur mais appropriés. Alors que le groupe se reposait au bord d'un plateau avec une vue imprenable sur la région, Flumoc venait d'aller se servir à boire aux pis de Boebjie sans rien dire. L'Écrémeuh, surprise, avait donné son lait sans consentement alors que si Flumoc avait poliment demandé, elle aurait sans doute accepté. Ils se connaissaient quand même déjà depuis suffisamment longtemps : tous deux avaient été d'anciens Pokémons de Raphaël, du moins ses tout premiers Pokémons, même s'il n'avait malheureusement pas eu le temps de beaucoup les entraîner avant de se faire tuer.

SALIZYR – Ce n'est pas parce que tu as passé plusieurs années capturé par Abyss que tu dois les imiter !

Prendre sans demander, n'était-ce pas le credo d'un gang de voyous ? Cependant, en disant cela, Salizyr comparait Flumoc avec ceux qui avaient tué Raphaël. Il était le seul à mesurer la portée, Flumoc n'allait pas en être affecté, mais Salizyr voulut se donner une gifle tout seul car c'était stupide et injuste de sa part. Flumoc était immature, mais il n'était pas quelqu'un de mauvais. La seule chose de mauvaise chez lui, c'était son odeur, et Salizyr n'allait pas le lui reprocher car le Miamiasme n'y pouvait rien.

VIRGIL – C'est beau ici.

Salizyr sourit. Virgil était quelqu'un d'extraordinaire. Chaque jour, petit à petit, Salizyr le voyait surmonter ses traumatismes. Il fallait toujours éviter de le soumettre directement au feu, et Salizyr ne lui demanderait jamais de s'entraîner contre Yaeslig, mais depuis qu'il avait été extrait avec Dribeü aux sévices de la Vieille Martha, il s'épanouissait de jour en jour, découvrant le monde avec un œil candide mais toujours bienveillant. Il était également très protecteur avec Dribeü ; en réalité, c'était réciproque, tous deux formaient un duo inséparable, qui se soutenait perpétuellement. Dribeü était simplement plus timide, tandis que Virgil avait une volonté forte.

Une voix fit soudain tourner la tête de tout le monde. Une voix traînante et menaçante. Une vieille Virevorreur passait son chemin, et lançait des prophéties à qui voulait l'entendre. Il semblait même qu'elle en marmonnait déjà avant d'avoir approché le groupe de Salizyr.

Virevorreur – L'apocalypse approche... L'être maudit marche, et traîne dans son sillage désastre et désolation... Fuyez, pauvres fous... Il va faire s'abattre sur vous l'infortune et le chaos... L'apocalypse approche... L'être maudit marche...

Et elle fut déjà trop loin pour qu'on continue d'entendre ses élucubrations.

FLUMOC – C'était qui cette vieille folle ?

Yaeslig gloussa en essayant de se faire discrète mais Salizyr l'entendit, et à vrai dire, il ne put s'empêcher d'avoir un petit sourire au coin du msueau.

SPYRIJ – Elle semble perturbée, c'est sûr, mais je ne suis pas certain que ses propos viennent de nulle part. Cela vaudrait peut-être le coup de savoir ce qui vient de la perturber.

Salizyr effaça aussitôt son sourire, imité par Yaeslig. Les paroles sages du grand Onix les rappelèrent à la même maturité à laquelle Spyrij lui-même essayait d'éduquer Flumoc.

Et si Spyrij avait raison ? Et si cette Virevorreur n'était pas si folle que ça ?
Et si... un être maudit était réellement en train de marcher vers eux ?...

Salizyr lui-même, avant d'entendre les paroles de Spyrij, ne pensait prendre cette Virevorreur très au sérieux. Il ne voyait pas bien de quoi elle pouvait parler, et elle devait avoir l'esprit chamboulé depuis bien longtemps. Sauf qu'une apparition donna finalement raison à Spyrij quelques instants plus tard.

Là, avançant sur le plateau, se dressa face à eux un Absol. La vision de ce Pokémon fut accompagnée instantanément du grondement du tonnerre. Derrière l'Absol, le ciel se faisait sombre, les nuages étaient porteurs d'orage, ce qui renforçait l'aura intimidante et désolante du Pokémon Ténèbres, comme s'il apportait l'orage avec lui. Salizyr leva le regard vers l'orage en fronçant le museau : si l'intempérie venait à s'abattre sur eux, il allait devoir trouver un abri, et vite rentrer Yaeslig dans sa pokeball. Le Dracaufeu n'aimait pas bien la pluie, et la Limagma encore moins.

FLUMOC – Whoa, c'est lui l'être maudit apocalyptique et tout ça que la vieille folle annonçait...
YAESLIG – Chhht Flumoc, c'est pas gentil...

Merci, Yaeslig. Salizyr avait beaucoup d'affection pour Flumoc mais il avait vraiment du mal à l'éduquer.

SALIZYR – Bonjour, excusez les mots de mon ami.

Salizyr lui-même n'en menait pas large, intimidé par l'orage qui semblait suivre les pas de l'Absol. Et par-dessus cela, la prophétie de la Virevorreur commençait à prendre forme, et Salizyr ne savait pas vraiment quoi penser de tout ça. Cet Absol allait-il vraiment apporter « désastre, désolation, infortune et chaos » ? Rien que ça !... Et encore, ça, c'était en omettant le mot « apocalypse ». Si la Virevorreur avait bien senti – ou simplement vu – l'Absol approcher, était-il encore raisonnable de penser qu'elle exagérait sur l'aura qui entourait ce Pokémon ?

BOEBJIE – Tout va bien ? On peut vous aider ?

Salizyr ne comprit pas très bien pourquoi l'empathique Écrémeuh posait soudain ce genre de questions à un Pokémon présumé apporter désastre, désolation, infortune, chaos et apocalypse – et peut-être encore beaucoup d'autres synonymes. Cependant, en y regardant de plus près, il vit ce que Boebjie avait remarqué avant lui : cet Absol venait de soupirer et tirait une drôle de tête, comme s'il était... mal à l'aise ? Peut-être à cause de la remarque désobligeante de Flumoc ? En tout cas, il n'avait pas l'allure d'un Pokémon hostile, venu apporter désastre, désolation et tout le tintouin...

L'Absol répondit laconiquement qu'il allait bien, et il fut du coup difficile de savoir exactement pourquoi il avait eu l'air mal à l'aise, d'autant qu'à l'entendre, il avait l'habitude des remarques désobligeantes telles que celle de Flumoc, et ne devrait donc pas en être tant affecté.
Il commença à marcher vers le groupe, son pelage blanc scintillant sous les reflets du soleil encore présent au-dessus de leurs tête malgré l'orage approchant. Un orage sur lequel l'Absol se voulut rassurant, annonçant qu'il n'allait durer que peu de temps et d'une faible intensité. Et en plus de ça, il se proposa de conduire le groupe à une grotte proche, ses yeux se posant plus spécifiquement sur Yaeslig et Salizyr en disant cela, pour une raison évidente.

Bref, on était vraiment très loin d'une annonce de chaos, de désolation ou d'apocalypse. En matière d'annonciateur de malheur, on avait fait mieux que « oh vous en faites pas, cet orage va être insignifiant, tout petit, et il va vite s'arrêter ». Pourtant, l'arrivée de cet Absol coïncidait tellement bien avec l'annonce de la Virevorreur, qu'il était difficile de ne pas en tenir compte. Et finalement, c'est Dribeü qui, d'une voix un peu timide, mit les pieds dans le plat :

DRIBEÜ – Quelqu'un vient d'annoncer votre venue en disant que vous alliez apporter de mauvaises choses... C'est vrai ?

Salizyr se racla la gorge. Il avait très envie de savoir, mais ne voulait pas froisser le Pokémon qui pouvait leur montrer une grotte où s'abriter.

SALIZYR – Je veux bien que vous nous montriez la grotte. Je m'appelle Salizyr, au fait. Je vous présente Dribeü, Boebjie, Flumoc, Yaeslig, Virgil, et Spyrij.

La voix profonde, rocailleuse mais posée de Spyrij se fit alors entendre :

SPYRIJ – Je ne pense pas que vous soyiez ici pour apporter le malheur, mais vous avez fait une forte impression sur un habitant de la région.

L'Absol se présenta à son tour, sous le nom d'Eden, et sans répondre immédiatement à question de Dribeü, invita le groupe à le suivre. Salizyr le laissa passer devant et échangea un regard avec Spyrij, mais l'Onix avait cette sagesse communicative qui incita Salizyr à se taire pour l'instant. Spyrij semblait à même de calmer le tempérament ardent du Dracaufeu, parfois. Si Salizyr pouvait être un mentor pour Flumoc, Yaeslig, Boebjie et les autres, c'était tout à fait différent avec Spyrij. Au lieu de servir de modèle, Salizyr était inspiré par le colossal et sage serpent de pierre.

Salizyr ferma la marche en restant à côté de Yaeslig, naturellement la plus lente du groupe à se déplacer, bien que Dribeü et Flumoc ne fussent pas très rapides. Et finalement, c'est en chemin qu'Eden accepta de répondre à la question de Dribeü :

EDEN – Cela ne m'étonne pas qu'on vous ait dit ça. C'est vrai sans l'être à vrai dire. Mon espèce à un don plus développé que d'autres pour pressentir les catastrophes. Donc les Absols sont les premiers au courant. Donc nous allons à la rencontre des autres pour les prévenir. Et en général ils le prennent mal vu qu'on donne cet effet d'annonciateur de catastrophes.

A l'en croire, il ne fallait donc pas se fier à leur réputation : les Absols ne voulait que le bien des autres Pokémons en les prévenant des catastrophes, seulement, ils avaient ainsi toujours le sale rôle de l'annonciateur de malheur. Et parfois, il est plus simple de condamner le messager. La Virevorreur avait sans doute paniqué en voyant l'Absol approcher. Elle était vieille, elle n'avait peut-être plus toute sa tête, et avait dû baigner dans les préjugés sur les Absols, en n'ayant plus toute la souplesse d'esprit nécessaire pour se faire une vision globale et non biaisée sur ces Pokémons.

Le temps de songer à tout ça, et les voilà déjà arrivés devant la grotte dont Eden leur avait parlé. Ce dernier conclut :

EDEN – On nous surnomme “Pokémon Désastre” avec ces histoires même si on cherche plus à aider les autres en les prévenant qu'autre chose.

Les Absols avaient un sixième sens unique mais cela se retournait contre eux et leur valait une mauvaise réputation. Dribeü le comprit bien :

DRIBEÜ – D'accord, donc ce n'est pas forcément parce qu'on voit un Absol qu'il va arriver une catastrophe.

Pleine de bon sens, Yaeslig abonda :

YAESLIG – C'est logique quand on y pense, sinon il n'arriverait que des catastrophes partout où passerait un Absol, ce serait une vie infernale.
BOEBJIE – Les Absols préviennent les catastrophes, ils ne les provoquent pas.

Bon, c'était bien parlé tout ça, mais la pluie commençait à tomber. Salizyr déploya une aile au-dessus de Yaeslig pour lui servir de parapluie le temps que la limace de lave rampât jusqu'à l'intérieur de la grotte, à l'abri, après tous les autres.

YAESLIG – Merci.

dit-elle avec un sourire doux et un regard charmant. Elle semblait reconnaissante que Salizyr n'eût pas eu le réflexe de tout de suite la rentrer dans sa pokeball, ce qui l'aurait quelque peu exclue du reste du groupe.
Une fois tout le monde dans la grotte, Salizyr ne put s'empêcher de demander à Eden :

SALIZYR – Mais du coup, si vous n'êtes pas venu nous annoncer une catastrophe, vous étiez... juste en train de vous promener ?

Ca avait l'air idiot comme question, comme s'il ne pouvait pas arriver qu'un Absol se promène comme n'importe quel autre Pokémon.

Et en effet, la question était idiote, et la réponse qui s'ensuivit ne relevait que du bon sens : bien sûr que les Absols avaient autant besoin de manger, de boire et de dormir que les autres Pokémons. Leur vie entière ne se résumait pas à aller alerter la cantonade de l'arrivée d'une catastrophe ! Déjà parce, fort heureusement, il n'arrivait pas des catastrophes tous les jours partout où ils allaient.

En tout cas, à côté de sa bienveillance, Salizyr fut impressionné par l'imperméabilité dont l'Absol faisait montre face à ce que les gens pouvaient penser ou même dire de lui. Il avait facilement pardonné à Flumoc son manque de tact, n'avait pas du tout eut l'air affecté par le fait qu'une Virevorreur avait paniqué juste en le voyant approcher, et Salizyr le croyait sur parole quand il disait ne pas se soucier qu'on l'accuse des catastrophes qu'il annonçait ou même qu'on le rejette. Pour se forger cette carapace, c'est qu'il avait dû en baver par le passé, et en entendre de toutes les couleurs.

SPYRIJ – Nous vous remercions pour votre bienveillance.
BOEBJIE – J'imagine, avec ce que vous dites, que la vie n'est pas toujours simple pour un Absol. Vous avez l'air de prendre beaucoup de recul sur tout cela.
FLUMOC – Ouais c'est clair, c'est gentil de votre part de continuer à vous préoccuper des autres avec tout ce qu'on dit sur vous !

Salizyr serra les dents et se retint de gronder « Flumoc... », mais un peu de fumée grisâtre s'échappa de ses narines. Il sentit que ce n'était pas le moment de faire une démonstration d'autorité, d'une part Eden avait déjà montré qu'il n'allait pas être affecté par le fait que Flumoc remuât sans faire exprès le couteau dans la plaie, d'autre part Yaeslig, s'étant placée juste à côté de Flumoc, gloussa discrètement. A part Flumoc, les autres ne l'avaient peut-être pas entendu, sauf Salizyr qui avait posé son regard sur elle en sachant que la belle limace de lave s'amusait souvent des faux pas de Flumoc, plus par gêne que par méchanceté, mais aussi par... attendrissement ? Il semblait que le caractère immature et maladroit de Flumoc rendait ce dernier mignon à ses yeux, alors même qu'elle avait comme Boebjie la sagesse suffisante pour le recadrer. Boebjie ne s'en occupait pas car ce n'était pas son tempérament ; Yaeslig ne s'en occupait pas car elle aimait Flumoc tel qu'il était. Quant à Spyrij, il n'interviendrait que pour épauler l'autorité de Salizyr, pas pour la remplacer, car il n'oubliait pas que c'était Salizyr le chef de groupe. En gros, si Salizyr ne reprenait pas Flumoc à chaque fois qu'il disait quelque chose de déplacé, personne ne le ferait. Et pourtant, tous ses efforts au quotidien semblaient inefficaces. Non pas que Flumoc n'avait pas de respect pour Salizyr, mais ce trait de personnalité était si fort en lui que même s'il réussissait un jour à chasser le naturel, il reviendrait au galop.

Salizyr déporta son attention vers la pluie qui s'abattait dehors. Désormais il tombait des cordes, et Salizyr n'aurait vraiment pas aimé se trouver là-dessous. Il n'avait pas senti cet orage approcher et n'aurait pas pu rejoindre un quelconque abri à temps sans l'alerte d'Eden. Il aurait été trop crispé par la pluie pour abriter Yaeslig sous son aile comme il l'avait fait en entrant dans cette grotte alors que la pluie tombait à un débit encore raisonnable, et quand même bien, la pluie aurait quand même réussi à atteindre la Limagma.

SALIZYR – Eden, comment pouvons-nous vous remercier ?
BOEBJIE – Je peux vous offrir du lait si vous le souhaitez.

D'aucuns auraient été irrités ou attristés par la réflexion de Flumoc qui venait de remuer le couteau dans la plaie, mais pas Eden, qui posa simplement un regard assez bienveillant sur le Miamiasme. Cet Absol semblait s'être forgé une carapace mentale incroyable. Il s'en moquait complètement de savoir que les Pokémons racontaient tout et n'importe quoi dans son dos et que personne ne réalisait vraiment sa dévotion. Il était d'une bienveillance extrême comme Salizyr n'en avait jamais vu chez quelqu'un.

EDEN – Ce n'est pas de la gentillesse mais plutôt un devoir. C'est comme une obligation que je ne peux renier. Etre gentil serait... par exemple de me présenter aux côtés d'un Humain par exemple.

Ah ? Voilà qui était intéressant. Pour Salizyr, se présenter aux côtés d'un Humain ne nécessitait aucun effort – il avait été élevé parmi les Humains depuis l'œuf, et avait grandi avec Raphaël en le considérant comme un grand frère bien que les rôles se fussent par la suite un peu inversés. Quoi qu'il en soit, sa première famille avait été des Humains, et sa relation avec Raphaël s'était rapprochée de la relation fraternelle, avec malgré tout une bonne dose de dévotion chez Salizyr envers celui qui restait aussi son Dresseur.
En revanche, pour Eden les choses semblaient différentes. Se présenter aux côtés d'un Humain serait, pour lui, déjà un acte de gentillesse en soi, comme si ça lui demandait un effort particulier. Salizyr laissa d'abord Eden lui dire comment il pouvait le remercier, mais il retint cette information pour revenir dessus juste après.

Comme on aurait pu s'y attendre, Eden refusa poliment tout cadeau de remerciement. Salizyr trouvait cela assez amusant comment Boebjie proposait son lait, ça semblait assez naturel chez elle, et il soupçonnait même que l'Écrémeuh était fière de produire une substance aussi nutritive et revigorante. Avec de l'expérience, son lait deviendrait même aussi puissant qu'une potion en matière de soin des blessures. Il fallait juste éviter que de petits coquins sans gêne comme Flumoc ne viennent directement se servir à ses pis sans demander l'autorisation. Et en parlant de rapport aux Humains, Salizyr n'avait jamais trop abordé le sujet avec Boebjie mais il était curieux de connaître son opinion, sachant que nombre d'Humains élevaient des Écrémeuhs simplement pour les traire, et que Boebjie avait en plus connu la pire espèce d'Humains en ayant été capturée par Abyss, comme Flumoc et Yaeslig.

EDEN – Vous savez, j'ai été élevé au sein d'une meute de Malosse et Démolosse. J'ai toujours vécu et agi dans l'intérêt commun de ma meute quand j'étais avec eux. Je ne peux accepter quelque chose seulement pour moi mais profitez en pour votre groupe.

C'était assez paradoxal pour ce mammifère quadrupède d'avoir été élevé dans l'esprit de la meute et de prétendre avoir gardé cet esprit en lui, pour finalement vagabonder seul au gré du vent sans plus aucun compagnon. Cela aussi éveilla la curiosité de Salizyr qui, le temps de l'orage, voulait vraiment s'intéresser à l'histoire d'Eden, une manière aussi d'en apprendre plus sur les Absols en général et d'acquérir une forme de connaissance et de sagesse.

SALIZYR – Vous semblez entendre que la compagnie d'un Humain vous coûterait un certain effort. Pour ma part j'ai grandi parmi les Humains et j'ai été dévoué à celui qui était comme mon frère. Je suis justement devenu Dresseur en son nom car c'était son objectif. Mais j'ai l'impression, à vous entendre, que vous avez une toute autre image des Humains... Que s'est-il passé ? Est-ce que ça a un lien avec le fait que vous avez arrêté de vivre en meute avec vos frères Malosses et Démolosses ?

EDEN – J'ai toujours eu des problèmes avec les Humains.

Voilà qui était posé. Pour savoir quel genre de problèmes, il suffit de laisser Eden parler :

EDEN – J'ai quitté ma meute uniquement pour les protéger. Un Absol qui vivait dans une meute de Malosses et Démolosses. Cela attirait bien trop d'Humains. Donc entre ceux qui voulaient me capturer pour ma rareté et m'arracher ainsi a tout ce que je chérissais, et ceux qui me reprochent les catastrophes que je viens leur annoncer... mes relations avec les Humains sont inexistantes.
SALIZYR – Oh.

Oui, les Humains pouvaient être bêtes, méchants, égoïstes et insouciants. Salizyr n'allait pas le nier. C'étaient bien des Humains qui avaient tué Raphaël. Des Humains qui avaient arraché Flumoc, Yaeslig et Boebjie à une vie heureuse pour essayer d'en faire des esclaves. Et moins personnellement, Salizyr avait de toute manière vu plein d'Humains attirés par l'appât du gain, par le pouvoir, ou tout autre sentiment égoïste les poussant à écraser autrui.

Et alors ? Tous les Pokémons étaient-ils bons de cœur ? Tous les Humains étaient-ils mauvais ? Non. Humains et Pokémons cohabitaient, ainsi allaient les choses, et Salizyr jouait le rôle qu'il avait à jouer dans tout cela. Et quelque part, lui-même n'était-il pas grisé par une certaine forme de pouvoir ? Le pouvoir d'influencer le cours de la vie des Humains, le pouvoir de les protéger ou de les éliminer. Faire sentir aux Humains qu'ils avaient besoin de lui, qu'il pouvait accomplir pour eux des choses dont ils seraient incapables sans lui, n'était-ce pas une forme de pouvoir ? Pour autant Salizyr était-il quelqu'un de mauvais ?

EDEN – M'enfin bon. Malgré tout, je suis pas ouvertement hostile avec les Humains.

Heureusement. Salizyr n'aurait pas eu envie d'avoir à s'opposer à Eden.

EDEN – Je les aide en faisant mon devoir d'annoncer les catastrophes imminente et je les sauve si nécessaire mais pas plus. Je comprends votre attachement si par le passé vous avez eu un Dresseur mais je pense qu'en cela, nos points de vues resterons différents.
SALIZYR – J'ai eu un Dresseur, oui. Et aujourd'hui c'est moi qui en suis un. Quelle différence cela fait-il ? Si j'accomplis les mêmes choses qu'un Humain, suis-je plus respectable simplement parce que je suis un Dracaufeu ?

Salizyr glissait sur la pente d'une discussion philosophique. Et pourquoi pas après tout.
Néanmoins il ne fallait pas être de mauvaise foi : il comprenait très bien pourquoi Eden éprouvait de la défiance envers les Humains. Pourtant, deux Pokémons dans son groupe étaient la preuve que l'on pouvait être traumatisé par des Humains sans pour autant généraliser à l'ensemble de cette espèce.

SALIZYR – Dribeü et Virgil ont été maltraités par une Humaine pendant de trop longues années. Ils ont subi des sévices pervers. Pourtant, regardez-les. Chaque jour je suis un peu plus heureux de les voir dépasser leur traumatisme, et ils sont prêts à m'aider à protéger les Humains sans craindre leur proximité et sans rancœur. Je vous souhaite d'avoir la même évolution.

Dribeü et Virgil ne s'attendaient pas à être soudain pris comme modèles, et ils eurent soudain un petit regard timide qui fit sourire Salizyr. On eut l'impression qu'ils venaient d'être pris la main dans le sac en commettant une bêtise. Néanmoins, dans le regard et le langage corporel de Dribeü, Salizyr put sentir une certaine fierté d'être ainsi montré comme un exemple pour l'Absol, tandis que Virgil resta plus humble.

FLUMOC – Y'a un truc que je pige pas bien. Vous ne vouliez pas laisser les Humains vous arracher à votre meute, et du coup, pour pas qu'ils vous arrachent à votre meute, vous quittez vous-même votre meute... C'est débile !
SALIZYR – Flumoc !

Cette fois-ci, c'était sorti tout seul, et une toute petit flammèche s'échappa même d'une narine du Dracaufeu, laissant derrière une petite fumée grisâtre inodore.

SALIZYR – Je te demanderai de peser tes mots et de faire attention à ne pas manquer de respect à notre hôte !

Flumoc écarquilla les yeux, fit un pas de recul, entrouvrit la bouche et mit devant l'un de ses bras gluants, à la fois surpris et désolé. Son regard alla chercher celui de sa copine Yaeslig comme pour savoir s'il avait vraiment dit quelque chose de mal. La Limagma, qui peinait à réprimer un petit sourire amusé, lui expliqua avec une étonnante douceur qui lui était propre :

YAESLIG – Le “C'est débile !” était de trop.