[Annulé] Souvenirs de Galar [ft David Grant]

New Esperantown. Ville de misères, de calvaires, de catastrophes. Sans doute le pire endroit où vivre dans toute cette île. Maintes fois mise à mal, maintes fois reconstruite, certains la voyaient comme un symbole de renaissance. Chaque fois qu'elle y avait mis les pieds, Llith ne pouvait s'empêcher de penser que leur Ho-Oh local tirait un peu la tronche après toutes ces fois fini en cendres.

Au moins, elle avait ses bons côtés. C'était peut-être une impression, mais les gens ici semblaient à ses yeux avoir développé une sorte de générosité maladive. Peut-être pour aller avec leur symbole de solidarité? C'était ici que l'enfant des rues avait tendance à se faire le plus d'argent lors de ses concerts improvisés.

Assise en tailleur, sur une place où le passage était plutôt important, la guitariste laissa promener ses doigts sur son instrument, et sa voix rauque vagabonder dans l'air. Les curieux se rassemblèrent bien vite autour d'elle. Certains envoûtés par son chant mélodieux, d'autres par son habileté à l'instrument. Quelques enfants tiraient également leurs parents vers la jeune femme, simplement attirés par les couleurs chatoyantes et inhabituelles de son compagnon de route, et qui n'avaient qu'une seule envie: le couvrir de gratouilles.

Les moins pressés de ceux qui passaient en hâte laissèrent déjà quelques pièces dans une vieille coupelle que Lilith trimballait partout avec elle. Les autres attendirent sagement la fin du morceau, après lequel Star, fidèle au poste, s'empara du récipient pour faire le tour des spectateurs, récoltant ainsi les généreux dons de certains, et recevant sa propre récompense de la part des gamins impacients qui venaient le caresser affectueusement.

C'était leur petite routine, à chaque nouvelle escale en ville. Il leur fallait chaque fois rassembler assez d'argent pour se reposer un peu et manger correctement, mais aussi pour s'acheter de maigres vivres pour le prochain voyage.

Le rituel dura ainsi quelques heures, durant lesquelles la musicienne enchaîna les chansons, parfois rythmées pour donner un peu de peps à ceux qui partaient travailler, parfois plus douces pour aérer l'esprit des plus rêveurs. Le tout était de ne jamais se répéter, pour ne pas lasser ceux qui s'étaient arrêtés sur cette place le temps d'une journée, tant pour se reposer que pour profiter d'un bol d'air frai en se plongeant dans un bon livre, ou peut-être dans un cahier de cours?

Le début de la soirée pointait le bout de son nez, et Lilith finit par se relever, saluant théâtralement les quelques spectateurs encore présents avec un grand sourire. Elle les remercia avec enthousiasme, ramassant au passage la dernière tournée de Star pour la mettre à l'abri dans l'étui de son instrument, et pris le temps de parler un peu musique avec certains d'entre eux.

Elle ne connaissait au final rien à la théorie, ayant presque tout appris par elle-même, mais elle adorait encourager les débutants qui n'osaient pas forcément se lancer.

Son maigre bagage sur le dos, la vagabonde se mit à errer dans les rues de la ville. Ils avaient récolté assez d'argent pour qu'elle se permette un petit plaisir ce soir: un bon verre posée au comptoir. Alors elle entra dans un des bars qui croisa sa route, un qui ne semblait pas trop miteux, et s'installa, commandant tant de quoi se désaltérer que d'apaiser sa gorge abîmée par une journée à chanter.

Bien vite, quelqu'un était venu l'aborder. Un jeune homme, sans trop d'allure, mais avec un certain charme un peu inexplicable. Il l'avait reconnue, elle non. Il faisait parti des nombreuses personnes à avoir croisé son regard ce jour là, et à l'avoir écouter jouer. Il disait avoir trouvé sa voix enchanteresse, et proposa de lui payer le verre qu'elle venait de commander, pour faire plus ample connaissance. Il abusait un peu des catchphrases toutes faîtes, à vrai dire, mais il avait l'air plutôt gentil dans le fond.

Elle s'amusait bien, ce soir là, et c'était tout ce qui importait.

La vagabonde profita ainsi cette nuit là d'un bref instant de plaisir chez cette nouvelle connaissance, et d'un bon lit pour dormir dans un petit appartement en mauvais état, mais qui était toujours mieux qu'un vieux hangar désaffecté ou tout autre squat qu'elle aurait pu dégoter toute seule.
Que demander de plus? Une mâtinée en douceur, peut-être? Ce n'était pas son fort, mais elle avait fait l'effort de ne pas partir en vitesse ce matin là. Elle s'était juste levée pour se rhabiller, et s'asseoir sur le lit, gratouillant les oreilles de son Zigzaton qui ne s'était pas gêné pour s'inviter sur le matelas. Leur hôte était en train de se préparer un café dans la pièce à côté, vue l'odeur.

Tout semblait bien parti pour un début de journée tout ce qu'il y avait de plus tranquille et banal pour elle. Elle n'allait pas tarder à se remettre en route dans les rues à l'atmosphère trop pesante de New Esperantown.

La musicienne s'étira de tout son long, baillant à s'en décrocher la mâchoire. Elle entendit une voix assez vague, venant sans doute de l'extérieur. Elle n'avait pas compris ce qu'elle disait, mais peu lui importait, ces histoires ne la regardaient pas. Dès qu'elle lèverait ses fesses de ce matelas, elle filerait avec à peine un au revoir, sans demander son reste.

Ses seules attaches étaient ses deux compagnons de route, les deux pokémons qui voyageaient à ses côtés, et les choses lui plaisaient très bien comme ça.

Mais un bruit inattendu la força bien vite à se lever, sur ses gardes. Le bruit de quelqu'un qui tombait, après avoir ouvert la porte. Elle était toujours à l'affût de ce genre de bruit, naturellement. Comme un animal méfiant, son instinct de survie se déclenchait souvent bien, ou trop, vite.
Star également avait bondit par terre, non pas encore prêt à se défendre, mais tout de même prudent.

Une voix inconnue toutefois, les poussa tous les deux à se préparer au pire.

— Meeeeeerde, j'étais censé ne pas le casser. Fais chier. Heu... je dirai qu'il est mal tombé. Bon.

Ne pas le casser? Il semblait également prêt à faire un rapport à quelqu'un? Dans quel genre de merdier s'était-elle encore fourrée? Essayant de faire le moins de bruit possible, Lilith s'empara de l'étui de sa guitare, posé dans un coin de la pièce. Il était hors de question qu'elle laisse son précieux instrument, et d'ailleurs tout le reste de ses maigres possessions, sans surveillance, même supposément à l'abri chez quelqu'un.

La vagabonde passa la bandouillère sur son épaule, et mis la main sur le premier objet qu'elle trouva dans la pièce qui pourrait potentiellement l'aider à se défendre. Un réveil? Personne n'aimait ces trucs là de toute façon, ça ne lui manquerait sûrement pas.

— Ouais, la cible a été appréhendée, m'sieur... continua l'intrus au téléphone, répondant à une voix complètement incompréhensible. Ouais, sa drogue doit être dans l'appart'... Ouais... Ouais, évidemment que j'y touche pas.

Sa drogue? Ce type qui venait d'entrer, c'était un flic? Non, sûrement pas. En tout cas, il semblait travailler de concert avec eux. Si elle s'en prenait à lui, elle risquait sans doute encore plus d'ennuis qu'actuellement. Frustrée, elle reposa son arme de fortune sur le lit. Ce type faisait irruption ici, se montrait violent sans prévenir, la mettait potentiellement en danger, et elle devait quand même éviter de se défendre.

Il valait mieux attendre encore un peu avant d'intervenir, peut-être en apprendrait-elle plus.

— Vous arrivez quand? demanda-t-il à son interlocuteur. Quoi?! Cinq minutes?! Vous vous prenez pour la police de Megapagopolis ou quoi? P'tain. Bon, envoyez la monnaie à l'adresse habituelle, moi j'me tir-... Attendez-on se rappelle.

Elle avait entrepris de s'approcher, mais de toute évidence, n'avait pas été assez discrète. La dresseuse fit signe à son pokémon de revenir en arrière, de se mettre sur la défensive. Elle-même s'empara de nouveau du réveil digital, prêt à mettre un bon coup sur le crâne de ce type, juste au cas où.

— J'espère que c'était pas ton copain ou quoi. Enfin, j'vais être clair: ce type revendait de la mauvaise came. Il doit le planquer dans une armoire ou dans ses chiottes, je ne sais pas. Donc si tu veux pas te faire chopper avec lui, faudra que tu te tailles et vite. J'ai pas envie d'faire chier des innocents, tu vois ? Et, heu, essaie pas de passer par la fenêtre, la dernière fois que j'ai essayé de cette hauteur, ça s'est mal passé, aha.

Alors ce type travaillait bien avec la police. Elle avait encore fini dans le lit de quelqu'un qui avait des emmerdes. Ça allait devenir une habitude, à force, elle allait finir par croire que son instinct était en panne.

Elle reposa son arme pour la seconde fois, et s'approcha de la porte, montrant ses mains pour indiquer qu'elle ne comptait pas le poignarder dans le dos ou quoi que ce soit. Elle restait toutefois sur ses gardes, et son Zigzaton galarien était passé devant elle, grognant d'un air aussi menaçant que possible dès l'instant où l'inconnu entra dans son champ de vision.

— Doucement, Star, commanda-t-elle à l'adresse de son compagnon. Je connaissais pas ce gars avant hier soir, assura-t-elle d'un voix peu assurée au prétendu chasseur de primes. D'ailleurs j'allais partir avant que vous arriviez, signala-t-elle en indiquant la sortie de ses deux index, derrière lui, alors...

A vrai dire, elle ne savait pas trop quoi faire. Elle ne voulait pas risquer d'ennuis avec les autorités. Après tout, elle savait à quel point c'était un calvaire d'en sortir. Il avait beau lui avoir dit de filer, et vite d'ailleurs, elle n'osa pas non plus s'approcher de lui pour se diriger vers la porte. Elle n'était toujours pas à l'abri que ce mercenaire à l'air bourru ne vale pas mieux que celui qu'il avait mis à terre.

Tout en se servant allègrement dans le café de son hôte d'infortune, puisqu'il semblait décidément n'avoir aucune gêne, le chasseur de primes semblait réfléchir. Sans doute hésitait-il à la livrer en bonus dans le colis? Après tout, elle n'avait que sa parole et sa bonne foi pour prouver qu'elle n'avait aucun rapport avec sa cible. Aucun rapport autre qu'une discussion banale autour d'un verre et la nuit précédente en tout cas.

— Tu t'es mise dans une merde, gamine. J'espère que ce type n'est pas du genre à vouloir faire tomber un max de gens avec lui. J'espère que tu lui as pas donné ton nom ou un truc du genre.

Elle fit "non" de la tête en réponse. Elle n'avait pas l'habitude de raconter sa vie à ses coups d'un soir. Ni même son nom, qui n'avait aucune importance à ses yeux, même pas pour elle. Elle le gardait dans un coin de la tête, mais ne le prononçait pas lorsque cela n'était pas nécessaire.

Lilith ne savait rien de ce gars, et ce gars ne savait rien d'elle. C'était le mieux pour tout le monde. Enfin, sauf dans ce cas, où elle aurait aimé savoir qu'il était recherché pour traffic. Ça lui aurait évité de finir dans son pieux, particulièrement la veille de son... arrestation, si on pouvait appeler ça comme ça.

— D'ailleurs, c'est quoi ton nom? A moins qu'tu préfères que je continue à t'appeler "gamine", hein. Enfin, j'vais te proposer quelque chose. Je comptais partir pour Lieucca après ça. Je peux te déposer chez toi ou quelque part sur le chemin. Comme ça t'évites les problèmes et moi j'ai la tête tranquille. Ça te va?

La vagabonde ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle n'avait pas tellement le choix. De toute façon, s'éloigner de cet endroit l'arrangeait bien.

— Je m'appelle Lilith, répondit-elle. Et si ça vous dérange pas, je vous donnerai le reste quand on sera sortis. Comme vous dîtes, il vaut mieux faire attention, précisa-t-elle en indiquant avec la tête le pauvre gars assomé par terre, au cas où il soit encore assez conscient pour les entendre.

Elle ne préciserait pas qu'elle n'avait pas de chez elle, il n'avait pas besoin de le savoir. Elle se contenterait de lui demander de la déposer à un endroit où les passages étaient fréquents. Elle n'avait pas encore réfléchi à l'endroit précisément, mais il lui en fallait un qui lui rapporterait assez pour reprendre la route le soir-même. Pour le moment, c'était le plan.

La fille à la crète suivit donc cet étrange personnage à l'extérieur, laissant derrière eux un joli paquet menotté pour la police locale. Elle restait plutôt silencieuse, toujours aussi méfiante. Star également, marchant juste à côté de son amie, était sur ses gardes. Les deux compagnons de route ne faisaient pas encore assez confiance à ce type pour ne pas se préparer à prendre la poudre d'escampette au premier signe d'hostilité.

Mais le chasseur ne semblait pas leur vouloir le moindre mal. Il semblait avoir été honnête en permettant à Lilith de filer avant d'être mêlée à ces histoires. Elle ne lui aurait rien rapporté livrée à qui que ce soit, et même les possessions qu'elle avait sur le dos étaient bien trop maigres pour un éventuel voleur... qui ce serait de toute façon servi dans l'appartement qu'il avait forcé, au lieu de se contenter de piquer un café.

Elle prit suffisamment sur elle pour grimper sur la place passager, son Zigzaton la suivant aussitôt pour s'installer sur ses genoux. Puisqu'il s'agissait d'éviter les ennuis avec les autorités, la voyageuse se décida à être honnête. Elle n'en dirait pas trop, mais au moins ce qu'elle pensait nécessaire à un éventuel rapport, ou quoi qu'il ait à fournir.

— J'ai pas de papiers pour le prouver ou quoi, commença-t-elle. Mais si vous voulez mon nom c'est Alistair. Lilith Alistair. Ça fait bientôt deux ans que je suis arrivée à Maïlys, précisa-t-elle également. Et comme je l'ai dit, j'ai rencontré ce gars hier soir, je sais presque rien sur lui du coup je peux pas vous aider plus que ça si vous avez des questions.

C'était le strict nécessaire selon elle. Son âge, ses activités, où elle vivait exactement, son passé à Galar, tout ça ne le regarderait que s'il posait la question. Et généralement, les quelques flics auxquels elle avait eu affaire s'arrêtaient à ça.
En attendant la réaction de l'inconnu, elle commençait déjà à réfléchir à un endroit en ville, où elle pourrait se faire un peu d'argent pour partir, sans risquer de tomber sur une mauvaise surprise. Après un réveil pareil, elle n'avait pas envie de risquer de se fourrer dans plus de problèmes encore.

Caressant la tête de son Pokémon toujours méfiant, tant pour le calmer que pour se détendre elle-même, elle écouta sa réaction. Pas d'interrogation? Tant mieux. De toute façon, elle n'avait plus rien à lui dire à ce sujet. Après tout si elle avait été au courant de ces histoires, elles aurait sans doute préféré passer la nuit dehors.

L'inconnu se présenta à son tour, sous le nom de David. Finalement un nom plutôt simple pour un bonhomme aussi peu commun. Il lui avait fait également comprendre qu'il n'appréciait pas être vouvoyé. Lilith n'y avait même pas prêté attention. C'était devenu comme un réflexe avec les années, pour parler aux personnes visiblement plus âgées qu'elle, plus qu'une réelle politesse.

— Tu veux peut-être appeler un proche pour demander à te récupérer? demanda-t-il ensuite, provoquant chez la jeune femme un petit ricanement nerveux. Enfin, j'dis ça, mais si ça se trouve t'es majeure et libre d'aller où bon te semble. T'as bien la tête de quelqu'un qui ne rend de comptes à personne, haha.

Cette dernière remarque eut le mérite de la faire sourire plus sincèrement. Un peu moins ses gardes, puisqu'il semblait finalement moins bourru qu'après sa première impression, elle lui répondit honnêtement:

— J'ai plus personne depuis longtemps, commença-t-elle par dire. Enfin, pas de famille je veux dire. Mais ouais, j'ai vingt-deux ans, alors je suis sensée être adulte et responsable de toute façon, ironisa-t-elle.

Elle avait toujours eu un peu de mal à retenir son âge, surtout quand elle était plus jeune. Les traumatismes ont ces effets là, sur le cerveau, la mémoire... ça bousille un peu tout. A force de travail, ça avait fini par rentrer, mais elle avait encore besoin parfois de le recompter rapidement avec sa date de naissance, qu'elle gardait, elle, dans un coin de sa tête.

La vagabonde réfléchit quelques temps, regardant les bâtiments autour de la voiture pour essayer de situer où ils se trouvaient. A force de se balader dans les différentes villes de Maïlys, elle avait quelques repères un peu partout qu'elle avait mémorisés. Son sens de l'orientation était plutôt bon, en tout cas quand on parlait de promenades urbaines.

—Je crois qu'on est pas loin d'un gros centre commercial, si on continue tout droit. Tu peux me déposer là-bas je me débrouillerai.

N'ayant aucun chez elle où se rendre, sa prochaine destination était toute trouvée. Devant un centre commercial, à condition de ne pas se faire dégager par la sécurité, il y aurait bien assez de passage pour remplir un peu sa cagnotte. Au moins de quoi manger, et l'espérait-elle, de quoi passer une nuit tranquille, toute seule cette fois.