Bisharp Turnabout [pv Vici]

Reiji était soulagé de pouvoir reprendre ses recherches sur le terrain. Ses heures passées à rentrer des données dans un tableau et à les analyser l'avaient épuisé, sans parler de la soirée d'inauguration de l'arène qui avait été riche en émotions... et en souvenirs.
Bref, le champion avait besoin de se changer les idées et de s'aérer l'esprit. C'était le bon moment pour reprendre des expérimentations en haute montagne. Il aimait grimper, faire un peu de rando, et respirer de l'air frais. De plus, cet endroit était propice aux rencontres, puisqu'il y avait rencontré Griffe, son Sablaireau de Galar.

Le voici donc en compagnie de ce dernier, qui connaissait le coin, et de Rail, son plus fidèle compagnon mais aussi un excellent partenaire de recherche. Lui et son dresseur se connaissaient depuis si longtemps qu'ils pouvaient se comprendre en un seul geste, un seul regard. Et le Scalproie savait tout des recherches de Reiji, de comment mener une expérimentation, de comment pister certaines espèces. Son passé de pokémon sauvage avait d'ailleurs été d'une grande aide pour l'humain.

Seul le bruit de leurs pas était audible, aucun n'émettait le moindre son. De temps en temps, l'un des deux pokémon filait par devant afin de procéder à un repérage, puis revenait en faisant signe qu'ils pouvaient continuer.
Ils procédèrent ainsi, grimpant de plus en plus haut, jusqu'à ce que Rail fasse signe à son dresseur de s'immobiliser. Il tapota également la pokéball de Griffe, signe que ce dernier devait être rappelé. Reiji s'exécuta, intrigué. Quelle découverte pouvait bien impliquer que le Sablaireau ne doive pas être présent ? De plus, Rail semblait troublé. Son regard était insistant, comme si cela était de la plus haute importance. Le dresseur lui lança un regard interrogateur, et le Scalproie se contenta de pointer de sa patte une empreinte dans la neige.
Le chercheur s'agenouilla, scrutant la forme de l'empreinte. En premier lieu, il ne comprit pas. Pourquoi l'empreinte d'un Scalproie était-elle si étonnante, étant donné que Rail venait de...?
Ah.
Un autre Scalproie. Bien sûr. Tout était clair à présent. Rail était troublé car il venait de découvrir que l'un de ses semblables était passé par là. De plus, au vu de la piste solitaire qui s'étendait au loin, il n'était pas en compagnie de son clan, comme l'étaient les Scalproie habituellement. Vraisemblablement, il était seul.

Reiji s'assit alors sur une pierre, et fit signe à son pokémon d'aller à la rencontre de l'inconnu. Il ne voulait pas l'accompagner. Il risquerait d'effrayer l'individu, ou de l'énerver. Et son but n'était pas de se battre contre un pokémon sauvage, encore moins un Scalproie.
Celui de Reiji acquiesça et suivit silencieusement la piste, comme s'il traquait une proie. Pourtant, ça n'en était pas une. Il voulait juste... Avoir l'occasion de discuter avec l'un des siens. Un sauvage, comme il l'avait été. Et aussi, il voulait savoir ce qu'il était advenu de son Clan. Était-il un Alpha ? Avait-il fui une catastrophe ? La curiosité de Rail était trop forte.

Il retrouva facilement sa trace, se replongeant dans les habitudes qu'il avait pu avoir il y a longtemps et puisant dans ses capacités de pistage. Un éclat, contre une pierre, confirma qu'il n'était pas loin.
En s'approchant, Rail découvrit avec stupeur que les écailles du sauvage étaient bleues. Un spécimen chromatique. Il n'en avait jamais vu. Était-il seul à cause de sa rareté prisée par certains humains ?
Trop perdu dans ses pensées, Rail eut un moment d'inattention qui fit crisser son métal contre un caillou, révélant sa présence à l'inconnu. Aussitôt, il s'inclina, montrant ses points faibles, signe qu'il n'avait aucune intention hostile.

- Je m'excuse d'être sur ton territoire, Scalproie. Je ne cherche en aucun cas à me battre. Je suis domestique, autrefois sauvage. Où est ton clan ?

En faisant le voyage jusqu'au Village Pokémon, il avait négligé l'entretien de ses lames. C'était dangereux : sans elles, il était handicapé pour la chasse, et déjà qu'il se débrouillait plutôt mal dans ce domaine en solitaire, ou incapable de protéger le territoire des intrus. Ou de plaire aux demoiselles àon, mais ça, c'était … Oubliez. Contre un paku, les techniques qu'il avait acquises de Keldeo ne serviraient à rien sans ces outils. Il fallait donc remédier à la situation. Il se souvenait parfaitement des pierres adaptées pour polir des lames émoussées ; et il fallait monter un peu plus dans les Hauts Monts. Après avoir usé de sa corne pour détacher la roche de la paroi, il s'accroupit et commença lentement son soin. Clash-clash.

La tâche l'emplit d'un étrange sentiment. Avant, c'était quelque chose dont on s'occupait en famille. Les quelques moments de repos du clan. Les àrd et les ios àrd se soignaient mutuellement, les àon portaient les plus jeunes et leur apprenaient les gestes précis à reproduire, et les chants du clan semblaient éloigner le silence funèbre d'a noth. Avant, tout ce tintamarre l'ennuyait. Maintenant …

Un bruit de rocher dans son dos le fit détourner la tête. En voyant d'où le son provenait, son sang ne fit qu'un tour.

Un as àrd.

Ce qu'on appelle communément : un autre Scalproie. Ou même : la panade. Immédiatement, il se redressa, ses vieux réflexes d'ios àrd reprenant le dessus. Ce n'était pas son rôle de combattre cet étranger. Dans une autre vie, il aurait laissé son Scalproie et les àrd, les Scalpion supérieurs combattre et, dans le cas d'une défaite, se serait contenté de se soumettre au nouveau chef, en espérant béatement qu'on lui laisse la vie sauve. Le scénario ne lui était pas totalement inconnu. Sans l'avoir vécu, c'était ainsi que sa mère était arrivée dans le clan qui était le sien. Ses premiers enfants n'avaient pas eu sa chance. Il baissa la tête. Sauf que l'as àrd de son clan, c'était lui, à présent ; et que ça lui plaise ou non, c'était son territoire à défendre. Et n'était-ce pas pour cela qu'il avait migré au Village Pokémon ? Pour que Keldeo lui transmette un peu de sa puissance pour ce faire ?

Mais au fait … L'as àrd en face de lui semblait tout aussi seul. Même, celui-ci s'inclina, comme tout autre soumis ; alors même que son corps ne présentait aucune des marques caractéristiques d'un clan. Beau comme un nouveau-né ! Et se mit à lui parler avec la Langue.

… Ah. Son discours expliquait beaucoup de choses de son comportement. De son ignorance du fait de la montagne. Même le simple fait de le nommer Scalproie – ce qui devait être pour l'autre seulement le nom de leur espèce, ■■■■ Vici n'en tirait aucune fierté. Il prétendait ne pas vouloir se battre, ouf ! Mais, l'étrange as àrd avait aussi révélé une chose qui maintenait ses sens en alerte : il était domestique. Ce qui était un bien joli mot pour dire qu'il appartenait à un Dresseur ; et que ce Dresseur devait se dissimuler quelque part plus bas dans la montagne. Quelque part où il ne le voyait pas. Appelez-le paranoïaque – et, d'accord, il l'était peut-être un peu. Mais c'était une clé de la survie – mais il sentait le coup fourré. On ne gagnait pas de bon point pour honnêteté.

« Ça ne te regarde pas, » éluda-t-il donc la question de son congénère, pour ne pas mentionner qu'il ne s'en souvenait tout simplement pas, « ni toi, ni ton Dresseur. » Était-ce une pointe de dédain sur le dernier mot ? Il ne pouvait s'empêcher d'être un peu curieux. Comment, pourquoi un as àrd renonce-t-il à son clan, à son territoire, à sa liberté pour suivre un Homme ? Mais il n'allait pas commencer à lui taper la causette. Il n'était pas du clan. La réaction attendue était donc simple, basique.

Il souleva le poitrail, montrant ses lames ventrales en guise de menace, vous connaissez la chanson. Avec un peu de chance, l'étranger n'était pas capable de déchiffrer sur son corps les petits indices de son ancien statut d'ios àrd – autrement dit, de vulgaire soumis. Contre un autre as àrd, il n'était pas sûr de faire le poids.

La réponse de l'autre Scalproie était très sèche et sur la défensive. Bah, il fallait s'y attendre. Rail voulait juste aider, et potentiellement partager ses souvenirs avec un congénère, mais ça n'allait pas être aussi simple. Soit. Il aimait le challenge.
Un détail l'interpella cependant, c'était la première réaction du pokémon chromatique. Comme s'il s'apprêtait à fuir, à se placer en retrait. Rail se souvenait bien de ce que voulait dire ce comportement. De plus, lorsque l'autre se redressa, sa capacité d'observation lui confirma cette impression : autrefois, dans son clan, il avait été inférieur. Cela souleva davantage de questions chez le Scalproie rouge. Comment avait-il pu évoluer ? Avait-il réussi à graver les échelons ? Comment était-ce possible ?

Rail soupira. Il n'aurait pas ces réponses tout de suite. D'autant plus que le sauvage semblait mépriser les pokémon capturés - et il comprenait ce point de vue, qu'il avait eu à une époque. Avant que... Bref, c'était une autre histoire. Peut-être aurait-il mieux fait de ne pas mentionner son statut ? Non. Dans tous les cas, son comportement aurait été mal interprété. Il avait envahi son territoire, après tout.
Malgré cela, Rail tint à préciser certaines choses.

- Hm. Crois-moi ou pas, mais mon Dresseur ne nous dérangera pas. J'agis selon ma propre volonté, et c'est moi qui choisis ce que je lui dis ou pas. D'ailleurs, je préfère parler de partenaire que de dresseur.

Il se dit qu'il parlait trop. Mais bon, il voulait mettre les choses au clair. L'autre le croirait-il ?
Quoi qu'il en était, il semblait prêt à se battre. Rail mit peu de temps à évaluer la puissance de ce Scalproie : il venait d'évoluer, et s'il devrait chiffrer, ne dépassait sûrement pas le niveau 60. Sans doute sous-estimait-il Rail, car ce dernier étant niveau max, il ne ferait pas le poids.
De toute façon, le Scalproie rouge ne voulait pas faire de mal au bleu. Il se défendrait, tout simplement, jusqu'à ce que l'autre entende raison.

Rail se prépara donc pour la première attaque de son congénère bleu, en préparant un Fulmifer.

Avatar:

Un soupir fût la seule réponse de l'as àrd en face. Soit son adversaire ne voulait rien laisser paraître, soit il était vraiment totalement ignorant du Fait de Scalproie – ce qui faisait sens puisqu'il était domestique, et depuis assez longtemps, si son apparence immaculée était un indice. Soit … Il était sincère ? Un grondement sourd et dédaigneux remonta du fond de son être. Une telle clémence de la part d'un de ses semblables lui était étrangère. Inconcevable. Impossible.

L'autre parlait trop, effectivement. Ce qui, en d'autres circonstances, ne l'aurait pas dérangé – parler n'avait jamais été son point fort –, si ce n'était pour le nombre d'absurdités que l'as àrd débitait, comme s'il arrivait à tirer la moindre fierté de ce « partenariat » avec son Dresseur. Il parlait d'une utopie. Dans la nature, à l'état sauvage, comme l'autre le disait si bien, tout était parfaitement hiérarchisé. L'herbe et les Pokémon Plante existaient pour les herbivores, les herbivores existaient pour eux, les prédateurs ; et les prédateurs existaient pour les puissances supérieures. Et l'Homme, c'était également dans sa nature, pas de quoi les blâmer personnellement, dominait les Pokémon qu'ils capturaient. Croire qu'un domestique gardait toute sa Volonté était idéaliste, au mieux ; au pire, stupide.

Il ne connaissait rien d'autre.

Pendant que l'as àrd parlait, donc, il se prépara. Il fit en sorte de maîtriser l'hésitation qui faisait fléchir son sabot alors qu'il prit un élan. Si le Pokémon en face de lui attaquait, il devait simplement le prendre de vitesse. Quand il faut y aller ... Il plongea donc sur lui dans une [ Tranche ] rapide et efficace.

Mais avant que la lame ne parvienne à faucher son adversaire, une force inconnue arrêta son geste. … Non, pas complètement inconnue. C'était … Une force magnétique, c'est ça ! La même dont il se servait instinctivement pour s'orienter dans les Hauts Monts ; l'as àrd ennemi avait réussi à la concentrer en un seul point de son armure, pour absorber l'impact. Une maîtrise que tout Scalproie bien entraîné possédait ; manque de bol, ce n'était pas son cas. Et avant qu'il ne puisse réagir, la force magnétique se désintégra dans une multitude de lumières blanches, le repoussant violemment en arrière. Son dos rencontra le sol gelé.

Adversaire : un, Vici : zéro.

Ses yeux s'ouvrirent sur le soleil au zénith. Aveuglant. Il se retourna sur son épaule en grognant, la douleur dardant dans sa colonne. Le goût cuivré du sang remonta dans sa gorge. En face, l'as àrd n'avait pas bougé d'un pouce, à peine ébranlé par sa Tranche. Évidemment. Malgré les leçons de Keldeo, il n'en restait pas moins un ios àrd, un inférieur.

Il lui montra les dents. Il n'ajouta rien, mais son regard dur parlait pour lui. A sa place, un autre as àrd n'aurait pas hésité. Son propre Scalproie n'aurait pas hésité. Je suis à ta merci. Qu'est-ce que tu attends pour m'attaquer ? C'est quoi ton manège ?

Rail observa son "adversaire" se préparer au combat. Calme, le Scalproie rouge ne présentait aucun signe d'agressivité.
L'autre se mit en mouvement. Rail analysa en une fraction de seconde qu'il s'agissait d'une attaque Tranche, et anticipa l'endroit où elle frapperait pour concentrer son énergie métallique. Comme attendu, l'autre roula dans la poussière, ou plutôt dans la neige.

Cependant, la Tranche fit un peu plus mal que prévu. De plus, le chromatique avait une manière de se déplacer assez atypique, et un mouvent de frappe tout particulier. Cela rendit Rail encore plus curieux, comment avait-il pu apprendre de tels mouvements, différents de ceux, classiques, qu'on pouvait observer dans les Clans ? Une seule explication possible : quelqu'un d'autre l'avait entraîné. Mais vu comme il méprisait le lien entre humains et pokémon... Soit il avait eu une très mauvaise expérience, soit il avait été entraîné par un pokémon d'une autre espèce. Mais malgré son expertise, le Scalproie rouge n'aurait su dire laquelle.

L'autre était à terre, et semblait énervé par le fait qu'il n'attaque pas. Rail haussa les épaules, dans un geste emprunté aux humains. Il ne savait pas vraiment quoi faire pour gagner la confiance de l'autre et se faire comprendre. Il semblait vraiment buté. Il opta pour encore plus de papote, quitte à être ennuyeux ou intrusif.

- Qui t'a appris à te battre ainsi ? Tes techniques sont inhabituelles. Si je n'étais pas si entraîné, tu aurais pu m'infliger de lourds dégâts.

Peut-être qu'insister sur le fait qu'il perdait uniquement parce que Rail était très entraîné permettrait à l'autre de ne pas mettre sa défaite sur le compte d'une quelconque faiblesse ? Ou alors, il le prendrait encore plus mal du fait que la raison de cette force était l'entraînement par son partenaire humain.
C'était quitte ou double. Autant tenter.
En attendant, il n'attaquait toujours pas, se préparant à nouveau à une potentielle attaque, prévoyant de l'esquiver cette fois-ci.

Avatar:

L'as àrd paraissait inébranlable. Il semblait prêt à prendre n'importe quel coup sans trembler, le corps bien ancré, la voix posée et égale. Lui n'osa pas lancer une autre attaque. Le goût métallique du sang persista dans sa bouche, terriblement familier. Évidemment. Comment un ios àrd, devenu Scalproie par « accident » pourrait-on dire, avait cru qu'il–

Attendez. Est-ce que l'autre essayait … De le flatter ?

Manque de bol, la flatterie n'avait aucun effet sur lui. Pire : c'était une insulte. Il se redressa lentement sur ses pattes arrières, renâclant avec dédain vis-à-vis de l'as àrd, ne laissant rien paraître de la douleur diffuse dans son dos. Dans la nature, dont son adversaire, empruntant des gestes bien trop humains pour avoir le moindre sens pour Vici, semblait avoir oublié bien des choses, de telles considérations n'avaient aucune importance. Il avait failli le blesser ? Insuffisant. Les « techniques » – les brèves leçons de Braev, le Keldeo au nom mal habillé – n'avaient d'utilité que s'il savait s'en servir pour vaincre ses ennemis, les ennemis de son clan, ou de ce qu'il en restait. Dans un combat, en particulier un combat entre deux Scalproie, il ne pouvait y avoir qu'un seul gagnant, et qu'un seul perdant. La loi était inscrite dans sa chair. Et puis, ce n'était pas un Scalproie domestiqué qui allait lui apprendre la loi, quand même !

Cependant, tout fier qu'il était, il n'était pas complètement stupide. S'il se contentait d'attaquer frontalement, même s'il y mettait tout son élan, son adversaire n'aurait qu'à nouveau concentrer la force magnétique pour lui renvoyer son attaque en pleine tronche. Et après un bref scanner des environs, avec sa propre boussole interne, il déduisit que le passage entre la paroi et le bord de la falaise était trop étroit – trop, en tout cas, pour feinter sur le côté. L'as àrd barrait le chemin de tout son corps ; il ne pouvait pas passer.

… Pas tout de suite, en tout cas.

Et puis, une autre interrogation persistait. Il claqua la langue, réfléchi. Malgré l'opportunité qui lui avait été offerte sur un plateau d'argent, son adversaire n'avait pas contre-attaqué. Bien sûr, il lui avait dit qu'il ne cherchait pas à se battre – mais cela allait contre toute loi entre clans de Scalproie, ainsi que même l'étranger domestiqué pouvait encore s'en souvenir. Mais donc, qu'est-ce qu'il faisait là ? En quoi les choses qu'il lui demandait l'intéressaient ? Lui … Ou son Dresseur ? Cet Homme mystérieux, à la fois présent et absent, il ne pouvait l'oublier : la dernière fois qu'il avait vu un Dresseur, on lui avait envoyé le paku à la tronche.

Bien. Il était loin d'être aussi bavard que son adversaire, mais puisqu'il voulait taper la discute, allons-y. « Tu sais ce que tu dois faire pour avoir des réponses. » Il n'avait pas besoin de détailler. Même si son adversaire n'avait pas de telles marques, les balafres étaient là, sur tout le corps de Vici, du bas du menton jusqu'à l'aine. « Ou réponds à ma question : pourquoi ton partenaire, » et il réutilisa ces derniers mots avec une ironie à peine dissimulée, « est venu sur mon territoire ? »

Mon territoire. Faire croire qu'il était tout autant as àrd. C'était terriblement égocentrique, et un demi-mensonge, mais ce n'était pas important. L'important était de jauger la réaction du Pokémon à l'armure rouge. Un moment de distraction où il pourrait prendre le dessus sur lui sans craindre un Fulmifer.

Perdu. L'autre ne manifestait que dédain et mépris, avec une telle intensité que Rail se demanda un instant s'il était capable d'exprimer des émotions positives. Manifestement, l'idée qu'un autre Scalproie soit amical avec lui n'était pas envisageable.

C'était en effet l'état d'esprit des clans de sauvages. Il se rappelait. La loi du plus fort. Des soumis. Un seul Scalproie dans le groupe, gagnant d'un duel à mort. C'était peut-être l'ordre naturel des choses, mais... Lui n'aimait pas devoir tuer pour prouver sa force. Il aimait se battre, il aimait être puissant. Mais ôter la vie lui semblait bien trop cruel. C'était pour cela qu'il avait quitté son clan pour s'associer avec un humain, qui lui avait promis de l'aider à le rendre plus fort.

Et qui avait tenu parole.

Il ne se considérait pas seulement plus fort au niveau de la puissance, mais aussi dans sa manière d'être. Il avait exploité un potentiel d'analyse, de réflexion et de cognition qu'il n'aurait jamais cru possible. Au delà de ça, il avait développé une certaine empathie et une ouverture d'esprit qui, il le voyait maintenant, manquait aux sauvages. Et il ne pensait pas cela en les méprisant, non, il trouvait simplement dommage qu'un tel potentiel soit gâché. Et qu'un tel état d'esprit amène un pokémon séparé des siens à être agressif plutôt qu'à chercher de la compagnie.

Cela dit, le bleu semblait avoir arrêté d'attaquer. Il s'était sûrement rendu compte de la différence de niveau. Mais, s'était-il rendu compte que lui-même pourrait s'améliorer ? Rail en doutait. Il songea à se laisser battre pour que l'autre se rende compte qu'il était capable de beaucoup de choses, mais il n'aimait pas cette idée, et de toute façon, le Scalproie sauvage ne serait sûrement pas dupe.

Il ne répondait toujours pas aux questions de Rail. Mais, chose nouvelle, il lui posait maintenant des questions. En plus de proposer un moyen d'avoir des réponses. Même si cela impliquait une nouvelle fois d'utiliser la force... Le Scalproie rouge réfléchit à un moyen de vaincre le bleu en lui causant le moins de blessures possibles. Pas une attaque tranchante. Une Assurance ferait l'affaire, sûrement. Il garda cela en tête pour le moment où il serait obligé d'asséner un coup à l'autre. En dernier recours.

En attendant, il répondrait volontiers à ses questions.

- Nous sommes venus sur ton territoire par pure coïncidence. Nous ignorions que c'était ton territoire. Nous étions... De passage, pour une mission importante. Penses-tu vraiment que nous serions venus exprès pour te provoquer ?

Inutile d'expliquer qu'ils étaient là pour des recherches scientifiques. Ces termes n'étaient pas dans le champ de compréhension d'un pokémon sauvage.
Le ton de dernière question de Rail ne comportait pas de raillerie, seulement une curiosité : la fierté du bleu était-elle si grande, et sa vision du monde si restreinte, pour penser que tout n'était que guerre et bataille ?

Avatar:

La légère hésitation dans la voix si assurée de l'étranger ne lui échappa pas. Ou peut-être que tous les signes étaient bons pour inventer au Scalproie à l'armure rouge une culpabilité. En tout cas, quel genre de mission importante pouvait bien l'intéresser ? Pour Vici, les Hauts Monts n'avaient aucun secret. Que ce soit les hauteurs des reliefs, les différents minéraux, ou prédire – bon, d'accord, en général – les humeurs d'a noth, les tempêtes qui auraient transi de froid tout imprudent ; c'était des choses simples et naturelles. Et, quand bien même l'as àrd avait été domestiqué, il devait connaître tout ça, des choses dont son corps devait se souvenir, en vertu … eh bien, d'être un Scalproie. Il jugea que c'était plutôt la Volonté d'un certain partenaire. Les Hommes n'étaient pas franchement connus pour être adaptés à leur environnement, comme l'étaient les Pokémon. Il avait vu Bordeciel-qui-ne-borde-pas-le-ciel, et n'avait guère été impressionné.

Mais avant que l'idée même lui vienne de demander des explications supplémentaires, une autre parole le déstabilisa.

Penses-tu vraiment que nous serions venus exprès pour te provoquer ?

Il se rétracta presqu'instantanément, d'instinct. C'était, en effet, comme ça que les choses fonctionnaient entre clans d'as àrd à l'état sauvage. Certains avec l'ambition d'étendre leur territoire, d'autres pour préserver celui qu'ils possédaient déjà, dans un même et unique but : contrôler les ressources – les minéraux, les proies, les abris – et assurer la survie de tous les membres. C'était le Fait. Et c'était quelque chose que son Dresseur aurait pu lire dans n'importe quel ouvrage. Ce n'est qu'une petite voix, qui lui rappela qu'attaquer de front était voué à l'échec, qui le détendit. L'étranger semblait, sinon l'avoir oublié, l'ignorer.

… Avait-il seulement été sauvage et libre un jour ? Ou l'avait-il été, il y a si longtemps, qu'on ne lui avait pas enseigné ça ? La curiosité gagnant du terrain, il n'en relâcha pas sa garde pour autant.

« Non, » admit-il, en réponse à sa question. « Mais tu es quand même venu me trouver. » Après tout, l'as àrd l'avait pisté. Si ce n'était pas ce pourquoi il était venu dans les Hauts Monts, il avait quand même choisi de le faire. Et ça n'enlevait rien à la grande inconnue, le Dresseur. La question qu'il se posait alors : pourquoi ? S'il n'était réellement pas là pour combattre … Il manquait d'imagination pour comprendre les intentions de l'étranger.

Il ne formula toutefois pas cette question à voix haute – peut-être que la longue pause était suffisamment explicite, en tout cas il le trouvait fort accommodant pour qu'on ne s'immisce pas dans ce qu'il y avait sous ses silences. Jusqu'ici, un seul ard avait résisté. En tout cas, l'étranger avait rempli sa part du « contrat », et il supposait qu'il pouvait donc à son tour répondre aux questions qui préoccupaient l'as àrd. Même si, pour ce qui était du clan d'a noth, il risquait fort d'être déçu.

Peut-être qu'il réussirait alors à déstabiliser l'adversaire. La communication n'était pas – n'avait jamais été – son fort, mais jusque là, c'était ce dernier qui avait mené la danse des mots. Il se tint en garde, prêt à attaquer au moindre mouvement menaçant de l'as àrd à l'armure rouge. C'était dans sa nature, il n'y pouvait pas grand-chose.

Vraiment.

L'ambiance tendue ne seyait pas à Rail, qui sentait ses muscles se crisper, d'autant plus que le froid des hauteurs s'immisçait un peu partout dans son corps du fait de son inaction. Il avait l'habitude des conditions extrêmes, mais restait rarement immobile, toujours attelé à une tâche, que ç'eût été avec Reiji ou même avec son ancien Clan du temps où il était sauvage.
Aussi se mit-il à faire quelques mouvements sur place dans le but de détendre ses muscles et de les chauffer un peu, émettant quelques cliquetis. Il espérait que ce ne soit pas pris comme une forme de provocation par l'autre Scalproie, mais à ce stade de toute façon, il avait l'impression que n'importe lequel de ses mouvements pouvait être mal interprété. C'est pourquoi il resta vigilant et prêt à se défendre s'il se faisait attaquer.

Déjà, le bleu semblait se renfrogner après la remarque de Rail sur la provocation. L'avait-il mal prise ? Sans doute. Néanmoins il n'attaqua pas, et se contenta de répondre par la négative avant de faire remarquer que c'était le Scalproie rouge qui était venu, qui s'était introduit sur son territoire. Certes. La remarque avait une teinte interrogative, bien qu'elle ne fût pas formulée ainsi.

- Tu as tout à fait raison, c'est moi qui suis venu te trouver. Et je m'excuse de t'importuner ainsi. Je suppose que tu te demandes pourquoi. Eh bien, j'étais curieux. J'ignore combien de saisons tu as vécu, mais je suppose que même si tu es jeune, l'héritage culturel des Clans s'est transmis, et que tu es au courant des cataclysmes qui ont ravagé l'île de Maïlys. Je suis venu... M'enquérir de la survie des Clans dans ces circonstances. Et en te trouvant seul, je m'inquiète quelque peu. J'ai beau n'être plus sauvage, je garde un respect pour le Clan dans lequel j'ai grandi, et malgré les défauts que je peux trouver à ce système, je ne voudrais pour rien au monde qu'il disparaisse.

Rail s'exprimait avec toute la sincérité qui le caractérisait, qui caractérisait si bien son partenaire humain également. Il utilisait aussi un langage soutenu, et espérait toutefois que l'autre comprenne son verbiage. Il s'était un peu laissé emporter en expliquant les raisons de sa venue, et n'avait pas assez pris en compte son interlocuteur. Tant pis, le message général était plutôt clair.

Le Scalproie rouge espérait que son intention curieuse ne serait pas vue comme une forme de condescendance, comme si les Clans étaient des bêtes de foires ou des sujets de recherche - quand bien même ils l'étaient. Reiji et lui avaient étudié pendant très longtemps le fonctionnement d'un certain nombre de pokémon à Maïlys, en particulier les Scalproie, et avaient pu établir que le système de Clans était toujours présent. Néanmoins, ils n'avaient pu rencontrer aucun spécimen jusqu'à aujourd'hui.
En soi, Rail utilisait l'expérience de Vici pour les recherches de Reiji, comme le redoutait le Sclaproie bleu. Mais ce n'était là que son but secondaire. Son premier but était plus personnel. Il s'inquiétait. Sincèrement.

Avatar:

L'as àrd étira ses muscles. Pourtant, les températures n'étaient pas si basses, a noth était même plutôt clément. Et sinon, lui savait que s'agiter ainsi n'aurait servi à rien pour empêcher les engelures, la corrosion mortelle pour un Pokémon Acier. Mais en le regardant, il commençait lui aussi à sentir le froid coutumier des Hauts Monts s'immiscer dans ses muscles, comme par communion. Et c'était une aisance qu'il ne pouvait pas se permettre, vu l'écart de force évident entre eux deux. Il n'en trahit rien, décomposant chacun de ses mouvements, prêt à percer au moindre geste d'attaque qui ne vint jamais. C'était la définition même de se regarder en Ponchien de faïence.

L'étranger était donc venu, prétendait-il, savoir comment les clans de ses semblables se portaient après les cataclysmes. Qu'il se tienne comme une sorte de gardien du Fait, alors qu'il l'avait abandonné pour suivre un Homme, aurait pu l’agacer. Néanmoins, il ne mentait pas sur ses estimations : si ses souvenirs étaient, au mieux, flous, il lui aurait suffi de voir le nombre de ses frères et de ses sœurs, la faim qui tenaillait même les àrd les plus âgés, pour comprendre que le clan avait connu une opulence que l'histoire récente de Maïlys avait balayée d’un revers.

L'inquiétude manifeste dans sa voix ne touchait guère Vici ; il ne la reconnaissait pas. « Tu n'as pas à t'inquiéter, » concéda-t-il comme seule information. Ce qui était techniquement la vérité. Quoi qu'il soit arrivé à son clan au moment de sa malheureuse évolution, l'étranger ne pouvait rien y faire. Si tout son clan était mort, par une colère d'a noth ou une réminiscence d'un des cataclysmes dont l'autre parlait, ou s'il l'avait abandonné, par une compassion étrangère à son Scalproie, parce qu'une bouche de trop à nourrir ; même la puissance de l'as àrd rouge n'y pouvait rien. A moins qu’il ait, en plus du reste, les pouvoirs de Celebi de son côté. Oh, sait-on jamais.

Il s'abstint de tout commentaire sur le reste de la longue réplique. Il lui semblait très hypocrite d'un Pokémon qui s'était abandonné à un Homme de vanter le respect qu'il portait pour les clans de la région. Quant aux défauts du système, comme il l'appelait de cette façon clinique empreinte de son Dresseur … Il n'allait pas dire qu'il appréciait le statut qu'il avait eu, non, mais tout ce que Scalproie faisait, c'était le Fait, et il n'avait qu'un but : la survie. Même ses actes les plus cruels n'étaient là que pour protéger l'ensemble du clan. La division et l'indépendance étaient les pires ennemis d'un groupe de Scalpion dans la nature. Pas vrai ?

Pas vrai.

Il hésitait. L’as àrd rouge ne montrait aucun signe d’affaiblissement, malgré le froid, et il ne lui offrait aucune brèche pour l’attaquer ou fuir. Mais il avait créé, involontairement, une autre brèche ... Que Vici tenta timidement de pénétrer. « Pourquoi suis-tu un Dresseur ? » Non, ce n'était pas de la curiosité. Du moins s'en convainquit-il ; il avait encore dans sa chair les stigmates de son dernier excès d'un tel sentiment. « Tu respectes ton clan, mais tu l'as abandonné aussi. » Avec une accusation aussi grossière, peut-être arriverait-il à enfin forcer l'étranger à lui concéder une ouverture.

Ainsi donc, il n'avait pas à s'inquiéter ? Dans un sens, ce n'était pas son rôle, certes. Mais malgré l'hostilité de cet autre Scalproie, Rail ne pouvait s'en empêcher, et de se dire que la solitude n'était pas une solution. Les Scalproie vivaient en clans, c'était un fait indéniable. Ils n'étaient pas faits pour vivre seuls. Il se demandait même comment ce sauvage faisait pour ne pas ressentir le besoin de sociabiliser. Peut-être que cela lui convenait, mais il n'arrivait pas à l'imaginer. C'était inconcevable pour lui, qui considérait que sa rencontre avec un humain lui avait apporté tant de choses, et qui entretenait des relations amicales avec le reste de l'équipe du champion.

Le Scalproie bleu le regardait toujours avec méfiance, mais il semblait déjà davantage ouvert au dialogue qu'avant. Rail y voyait un certain progrès à ce niveau-là. Car il aimait se battre, mais il aimait également parler. Et contrairement à ce que l'autre semblait penser, il ne voyait pas cela comme une faiblesse, au contraire : les mots étaient porteurs de beaucoup de choses. Mais il comprenait que, du point de vue d'un sauvage, la communication se devait d'être purement utilitaire.

Cela dit, ce dernier se mit à lui poser des questions. Venait là le coeur du sujet : pourquoi est-ce que Rail n'était plus sauvage. Pourquoi il avait abandonné les siens. Pourquoi il avait suivi un humain.
Il réfléchit, se plongea dans ses souvenirs, puis choisit ses mots afin de raconter son histoire en tentant de ne pas froisser son congénère.

- Bien. Puisque tu tiens à le savoir, je vais donc raconter ce qui s'est passé.
J'ai vécu dans un clan assez peuplé, dont chaque individu avait une place et un rôle bien particuliers. Me concernant, j'étais parmi les forts.

Il prenait soin de ne pas utiliser les termes des clans, pour ne pas risquer de froisser l'autre en utilisant des mots qui ne concernaient plus le domestique.

- Notre chef était extrêmement respecté. C'était un excellent stratège, qui prenait toujours les meilleures décisions. Il était fort, bien sûr, mais également très brillant.
Du fait de ma place, j'étais amené à le côtoyer. Et je l'ai admiré, beaucoup. Je l'observais afin de copier ses techniques, pour devenir comme lui.
Seulement... Mon potentiel a commencé à égaler le sien. Voire plus. Et tous les autres m'incitaient à le défier pour devenir chef, parce que j'étais plus puissant que lui, que j'allais le battre à coup sûr.
Je ne voulais pas. D'une part, parce que je n'étais pas aussi bon stratège que lui, et que j'estimais être moins apte à diriger. D'autre part, parce que je l'admirais et le respectais, et que je ne voulais pas le tuer.
Je suis donc resté à ma place, tout en continuant à m'entraîner. Malheureusement... J'ai fini par évoluer. Et il était clair, dans notre nature même, qu'il ne pouvait y avoir deux Scalproie dans le clan. Le Duel était inévitable.
Alors, j'ai fui. J'ai fui comme un lâche. Mon honneur en a pris un gros coup, mais je préférais cela plutôt que de tuer celui qui avait été mon modèle. Certains ont essayé de me suivre, pensant que je créerai un nouveau clan. Mais je les en ai empêchés. Ils étaient mieux avec lui, le vrai chef. Et je ne voulais pas diriger. Je voulais juste devenir fort, pour protéger les faibles. Mais ce faisant, je me dressais contre ma propre nature.
J'avais si honte de moi. Cela ne rimait à rien. Et seul, je n'allais pouvoir protéger personne d'autre que moi-même. Je me suis dit que j'aurais peut-être dû créer un nouveau clan, finalement.
Je me suis senti si seul.
Et puis, je l'ai rencontré. Cet humain. Il était très jeune et... semblait seul, lui aussi.
Deux parties de moi ont lutté. Celle qui me disait de ne pas m'approcher de cet humain, qu'il était un ennemi, qu'il ne me voudrait que du mal. Et celle qui n'en pouvait plus de ce sentiment de solitude, qui avait besoin d'interaction. Et, tu t'en doutes, c'est celle-ci qui a pris le dessus.
Je ne parlerai pas des détails, mais ce fut la meilleure rencontre que j'aie faite. De plus, il a su me faire comprendre qu'il avait le moyen de me faire devenir encore plus fort. Ce fut sa promesse, et... Il l'a tenue.

Il marqua une pause, qui signifia que son récit était terminé.

- Alors, oui, j'ai abandonné mon clan. J'ai été lâche. Mais au moins, ce clan a pu garder un excellent chef. Et j'ai pu prendre un nouveau départ... Qui me convient très bien, même si l'ambiance des clans me manque parfois. Voilà pourquoi je les respecte, même si j'ai abandonné ce mode de vie. Je ne le regrette pas.

L'autre ne comprendrait sûrement pas. Mais Rail s'était vraiment senti mal quand il avait fui. Mal de ne pas avoir pu les protéger, mal d'être un lâche.
Il gardait malgré lui cette douleur au fond de lui-même. Un pincement au coeur à chaque fois qu'il y pensait. Puis il pensait à Reiji, au lien qu'ils avaient tissé, et au reste de son équipe, qui était comme sa seconde famille. Il avait trouvé d'autres êtres à protéger, à présent.

Rail ne se rendit pas compte que, plongé dans son récit, il avait baissé sa garde.

Avatar:

Ça aurait été le moment parfait. Non, corrigez ça, c’était le moment parfait. La garde de l’as àrd baissée, perdu dans ses souvenirs, lui n’aurait eu qu’à porter une attaque décisive pour le déséquilibrer, et profiter de la brèche pour… Eh bien, son instinct d’ios àrd lui ordonnait de prendre la poudre d’escampette, mais cela n’avait aucun sens pour ce corps de Scalproie dont il reniait encore l’évolution ; donc combattre. Mais malgré cette analyse, ses muscles tendus refusaient tout simplement de bouger. Peut-être se souvenaient-ils encore, bien qu’il ne reste de ce combat que les impacts fantômes sous sa carapace, de ce combat face à l’imprévisible paku. Ou peut-être — et l’idée lui semblait grotesque — était-il, malgré lui, intéressé par le récit du Scalproie rouge.

Pourtant, bien qu’ils fussent de la même espèce, l’histoire de l’as àrd ne pouvait lui être plus étrangère.

Déjà, parce qu’il était né àrd. Certes, il n’avait pas utilisé précisément ce mot, et difficile de savoir s’il témoignait assez de respect aux clans pour savoir que leur langage n’avait rien à faire dans la bouche d’un Pokémon dressé, ou s’il l’avait simplement oublié, avec le reste du Fait ; Vici, d’un naturel un peu cynique, penchait davantage pour la seconde explication. Mais parler des plus forts, ça ne laissait pas beaucoup de place à l’ambiguïté. Lui avait été un ios àrd — un inférieur, un pas-si-fort-que-ça, appelez ça comme vous le voulez. Et renverser le contrôle d’a noth sur son clan était une ambition, un privilège qu’il n’avait jamais eu l’intention de saisir, quoi qu’en disent les marques ; là-dessus, au moins, ils pouvaient tomber d’accord.

Mais le Scalproie rouge parlait aussi de son leader. Celui qu’il avait abandonné. Mais aussi celui qu’il respectait. Il ne doutait pas que son adversaire ne mente pas en parlant de sa puissance — il se souvenait de comment la force magnétique l’avait si facilement repoussé, et ce malgré son entraînement avec Keldeo —, il aurait pu s’emparer de cette place privilégiée. Mais il ne l’avait pas fait. Contre toute logique préservatrice, et contre le Fait forgé dans sa propre mémoire.

… Était-ce d’un tel clan dont l’a vici avait rêvé ?

Ça n’avait guère d’importance, puisqu’en dépit de tout, l’a vici avait échoué. Il secoua la tête, comme pour se débarrasser d’un Bombydou gênant, alors que l’as àrd abordait la partie rencontre-avec-l’Homme, qui, elle, ne l’intéressait pas vraiment. Donc, quoi, il avait retrouvé sa trace dans ses montagnes uniquement pour … taper la causette ? Retrouver cette existence qu’il avait lui-même lâchée ? Eh, oh, ce n’était pas de sa faute si le Scalproie rouge avait décidé d’abandonner la vie sauvage !

« Mon clan n'est plus, » lâcha-t-il enfin sans préambule. C’était bien la première question que le Scalproie rouge lui avait posé, non ? Il lui devait bien une réponse. « Mais, » et il baissa la tête, sans dissimuler que son intention à l’égard de l’as àrd n’avait pas changé, quitte à avoir perdu l’ouverture offerte par l’ennemi sur un plateau d’argent. « Ça reste mon territoire. »

Lors de leur combat, le paku lui avait posé une question : pourquoi s’acharner face à un adversaire qui, de toute évidence, le dépassait ? La réponse, alors, lui semblait couler de soi : c’était son devoir, la mission de tout Scalproie qui se respecte. On ne lui avait inculqué rien d’autre.

« Tu as fait ton choix. Toi et ton Dresseur n’êtes pas les bienvenus. » Si tant est qu’ils l’aient jamais été. Après tout, il ne lui avait pas dit quelle mission importante l’occupaient, lui et son Dresseur. Il serait le seul juge.

Rail décela une pointe d'intérêt pour son récit à travers le masque impassible de l'autre Scalproie. Mais il ne l'exprima pas. Cela n'était pas surprenant, car son attitude restait hostile, avec une part de fierté. 
Toutefois, il ne l'attaqua pas. Rail se demanda si c'était grâce à cet intérêt, ou s'il avait simplement pris conscience de leur différence de force. Peut-être un peu des deux.
Dans tous les cas, le Scalproie bleu lui livra l'information qu'il voulait savoir. Son Clan, à lui, n'était plus. Il se demanda pourquoi, ce qui s'était passé, mais n'insista pas. De toute évidence, son interlocuteur ne souhaitait pas en parler. Il voulait protéger son territoire. Seul. Et un pokémon domestique tel que lui n'était visiblement pas le bienvenu.

- Soit. Je respecte ton choix. Pardonne-moi d'avoir franchi ton territoire. 

Ce faisant, il s'éloigna de la ligne invisible qui indiquait ledit territoire, se remémorant les signes qui indiquaient les frontières. Il s'inclina, puis se retourna hors de vue du Scalproie chromatique, et alla rejoindre Reiji.

Il ne savait pas trop quoi penser de cette rencontre. Un pokémon de Clan avait survécu, mais pas ses congénères. D'autres Clans étaient-ils préservés ? Qu'en était-il... De son ancien Clan ? Est-ce que tous étaient devenus aussi hostiles que ce chromatique ? Mine de rien, il était quelque part un peu blessé d'avoir reçu aussi peu de réceptivité de l'autre, même s'il le comprenait. Il avait été ios ard. Et Rail n'avait jamais connu ça. Mais... Il voulait vraiment rester seul ? N'en souffrait-il pas, ou ne l'admettait-il tout simplement pas ? Les pokémon étaient faits pour vivre en Clans, et c'était pour cela qu'ils étaient si enclins à rejoindre une équipe de dresseur, Rail en était convaincu.

Comme pour corroborer cela, il leva légèrement la tête vers Reiji, pour lui témoigner de son seul regard tout le respect et la considération qu'il avait pour lui.
Reiji sourit, et posa sa main sur son bras métallique.

- J'ignore ce qui s'est passé, mais ça a l'air de t'avoir touché. Tu sais que je suis là, partenaire.

Oui. Il le savait, et lui en était reconnaissant.