[Terminé]Neige pourpre [Vanilla]

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Guidée par un élan de nostalgie qui lui était rare, Vanilla avait décidé de retourner sur les anciennes ruines de ce qui avait été Avalaville afin de se recueillir sur les restes de la ville. L'une des personnes qui l'avait accueillie lors de son passage dans les hauteurs des montagnes, le docteur Ôgi, avait péri lors de l'éruption du volcan. Elle le savait. Elle l'avait senti. Dans les milliers de voix qui avaient hurlé lors de l'éruption, elle avait pu entendre celle du docteur distinctement. Et s'éteindre aussitôt.
Les restes d'Avalaville étaient encore empreints de la peur et de la douleur, cristallisées dans son sol, dans son air. La jeune psychiste pouvait sans problème ressentir les dernières émotions qu'avaient vécu les habitants, juste avant de rendre l'âme.
Mais là où elle se serait sans doute arrêtée, écrasée par tant d'ondes négatives quelques années auparavant, aujourd'hui, désormais habituée à partager les derniers instants de tant de personnes, elle avait marché sereinement dans une scène de carnage. Entendre les cris dans son esprit ne lui faisait plus rien. Plus de compassion pour la peine, plus de pitié pour une agonie. Même les derniers instants du docteur ne l'émouvait plus.

Revenue à Bordeciel, elle retrouvait déjà une foule plus vivante, plus joyeuse. Et plutôt que de s'apitoyer sur les morts, elle avait appris à se réjouir des vivants qui vivaient pleinement leur vie. La plupart des gens épanouis avaient peu à cacher et lire dans leur esprit était chose aisée. Elle voyait leur bonheur et, l'espace d'un instant, le vivait également. Les gens en haut de la montagne étaient souvent plus épanouis, plus vivants, que les gens de la métropole. Et ça faisait plaisir à voir.
Vanilla marchait lentement, légèrement, bras croisés, vêtue seulement de sa robe noire et semblant presque flotter sur le sol. Ses pouvoirs psychiques, rendant ses yeux encore plus rouges, la protégeaient du froid, mais aucun de ses Pokémons, pas même son Draco, n'osait sortir par cette température.

Soudain, au milieu de la foule, il lui sembla distinguer quelqu'un. Quelqu'un de différent. Elle ne tarda pas à remarquer la femme d'une trentaine d'années qui semblait aller et venir, s'adressant brièvement à plusieurs personnes. Elle était trop loin pour lire clairement dans son esprit, mais même à cette distance, elle pressentait que quelque chose était différent. Décidant de se rapprocher doucement, elle s'essaya à scanner l'âme de la femme. L'âme était sombre, noire, mais pas pourrie comme elle avait l'habitude de le voir chez ses sujets. Non, il y avait quelque chose de plus. Dans l'obscurité quasi-totale de son esprit se distinguaient comme des étoiles dans un ciel noir. Une lumière à laquelle elle se rattacherait ?

Vanilla était arrivée à sa hauteur. Perdue dans la connexion cérébrale, elle n'avait même pas prêté attention à sa propre discrétion. Peut-être avait-elle été vue s'approcher d'elle. Lorsqu'en tout cas elle fut à bonne distance, elle avait cependant entendu assez pour être à peu près certaine d'une chose :

— Vous cherchez quelqu'un ?

Elle avait parlé simplement, de sa voix encore enfantine, bras croisés sur son torse, le regard calme et pénétrant.

A l'instant précis où le regard des deux femmes se croisa, une connexion s'effectua. Vanilla n'était pas dupe : la femme en face d'elle avait vu beaucoup également : la mort, la douleur. Et elle-même avait vu dans ses yeux rouge que l'adolescente était loin d'être innocente également. Un accord tacite eut lieu, au moins pour le moment, une sorte de solidarité qui pourrait naître entre deux personnes qui ne la méritait peut-être pas.

Après avoir fixé un moment la femme, Vanilla dirigea son regard vers la photographie. Une soeur ? Une soeur cadette ? La jeune fille retint habilement son sourire : rechercher les membre de sa fratrie était ce qui avait causé la fin de son frère Alex. Mais peut-être n'était-ce pas nécessaire d'aborder ce sujet. A la place, elle choisit de se concentrer sur la photo.
Pour quelqu'un qui se disait sa soeur, elle ne partageait pas autant de points commun qu'elle et ses frères, un détail qui éveilla momentanément la suspicion de Vanilla, avant qu'elle sente que la personne en face d'elle ne semblait pas mentir.
Malheureusement pour elle, ce visage ne lui disait rien, même avec les éventuels dix ans supplémentaires. Ce détail augmentait déjà grandement les chances que ladite soeur soit encore en vie. Vanilla releva la tête vers son interlocutrice et secoua doucement la tête.

— Pourquoi la cherchez-vous ?

La question, qui semblait innocente, cachait une autre réalité. Quelqu'un recherchant sa fratrie a de grande chances d'être animé par un amour fraternel semblable à celui qu'Alex avait éprouvé pour Nicol, une forme d'amour pure et naturelle. Mais quelque chose lui disait que cette femme était bien moins innocente et naïve que ce qu'avait été son frère il y avait quelques années de cela. Il n'était pas impossible que des motifs comme la vengeance ou la colère ne motivent cette quête. Et si elle jetait la vie qui lui avait été donnée pour ces raisons... peut-être que leur trêve tacite allait venir à un terme prématuré. Ce qui déroutait la jeune psychiste dans tous les cas, était que ce voile sombre qui entourait l'esprit de son interlocutrice lui empêchait de lire correctement ses pensées, quelque chose auquel elle n'était pas toujours confrontée.

HRP:

La question de Vanilla semblait avoir déclenché chez son interlocutrice un cascade d'émotion, palpable, mais toujours voilé par ce rideau d'obscurité. Elle voyait une enfance, elle sentait la perte, l'insécurité. Elle perçut une solitude mais, au milieu de toutes ces émotions négatives, une lueur qui, progressivement, s'était faite non seulement plus forte, mais aussi plus seule.
La réponse, qui vint après les longues secondes pendant lesquelles Vanilla avait survolé l'esprit de son interlocutrice, ne fit que confirmer ce qu'elle avait ressenti. Elle voyait sa soeur comme une sorte de... salut ? Rédemption ?

Juste après, Vanilla sentit une légère et brève ouverture dans l'esprit de la femme qui lui faisait face, mais avant qu'elle n'ait eu l'idée de l'exploiter, celle-ci s'était déjà refermée. A la place, Lyme, puisque tel était son nom, proposa de trouver un endroit plus approprié pour continuer cette rencontre. Vanilla n'allait pas refuser ; elle rencontrait rarement quelqu'un de si curieux et au fond, que risquait-elle ?
La main gantée lui était tendue, et en réponse, elle étendit le bras, invitant Lyme à ouvrir la route jusqu'à un café-restaurant.
L'intérieur était indéniablement plus chaud, bien plus adapté à la tenue légère de Vanilla. Les deux femmes s'assirent en intérieur, près de la fenêtre qui donnait encore sur la rue enneigée. Silencieuse pendant les premières minutes, comme solennelle et respectueuse, Vanilla ne prit la parole qu'après l'arrivée de son infusion et se laissa même aller à un bref et discret sourire :

— L'appréciez-vous ?

La Mort. Même pas besoin de la nommer. Les deux femmes l'avaient vue et revue. Mais après tant de fois, certains l'appréciaient parfois, tandis qu'elle restait répugnante à d'autres. Vanilla voulait savoir à qui elle avait affaire.

Vanilla eut le temps de siroter une gorgée encore bouillante de son infusion avant la réponse de Lyme. Plus que les mots qui sortaient de sa bouche - toujours dans ce rythme étrange - elle ressentaient les émotions qui émanaient peu à peu plus distinctement de son être entier. Une sorte de fascination, comme un plaisir coupable, mais qui savait se réfréner devant... la pression de son Pokémon ?
Après tout, pourquoi pas. Tous les moyens étaient bons pour épargner le sang des innocents. Que ce soit une personne, un principe ou un Pokémon.

La clochette et l'arrivée des deux policiers fit détourner un instant le regard de la jeune fille aux cheveux verts. Elle avait reconnu leur signature psychique : Fabrice et Christophe, deux policiers normalement basés à Mégapagopolis. Elle les avait déjà vu du temps où elle accompagnait son frère, mais au vu de sa discrétion habituelle et de son récent changement de style, il y avait très peu de chance qu'ils ne la reconnaissent.
Elle savait que Fabrice était un policier intègre, juste, et qui croyait en son métier et son rôle dans la société. Ce genre de personnes à s'arrêter pour aider un enfant tombé de son vélo.
Christophe en revanche, était corrompu jusqu'à la moelle, agissant pour l'argent et le pouvoir. Arrivé au départ dans les forces armées par piston, et ayant ensuite monté les quelques échelons en graissant les bonnes pattes, il n'avait de policier que le titre et acceptait plus de pot-de-vin que de dépositions.

Vanilla fronça très légèrement les sourcils avant d'être rappelée à la réalité par sa mystérieuse interlocutrice.

Sa question faisait sens au vu des récents arrivants. Les deux partageaient la même place dans la société, mais là où l'un était devenu un parangon de droiture, l'autre n'était qu'une raclure.

— J'observe. J'essaye d'anticiper les réactions humaines, d'éprouver la nature humaine. Je teste. Certains me disent que cela laisse une grande place à la chance. Mais si l'esprit de quelqu'un vous est connu... la chance n'entre pas en ligne de compte.

Elle se pencha légèrement vers Lyme et demanda d'une voix feutrée :

— Si je vous disais par exemple que sur les deux policiers qui viennent d'entrer, l'un mérite de vivre, et l'autre de mourir... les distingueriez-vous ?

Alors qu'elle disait ces paroles, ses ondes cérébrales quantiques se brouillèrent l'espace d'une fraction de seconde. C'était une des premières fois qu'elle parlait aussi ouvertement avec quelqu'un d'autre qu'un sujet d'expérimentation. Peut-être était-ce leur amie commune, la Faucheuse, qui avait établi entre elles une sorte de confiance réservée ?

La jeune fille resta attentive pendant les observation de son interlocutrice ; oui, elle semblait cerner le personnage. C'était plutôt rassurant.
Ce qui rassura moins Vanilla cependant, fut lorsqu'elle comprit que Lyme avait malencontreusement attiré l'attention de Christophe. Fabrice, resté au bar, adressa juste un regard à son collègue : il savait qu'il était comme ça, impossible de penser le changer. De toute manière, au moindre écart de comportement de sa part, il pouvait faire appel à son oncle qui le menacerait. De rage, il détourna le regard de la scène et retourna à son verre ; il resterait en dehors de cela.

Vanilla réprima son sourire devant l'attitude de Christophe : tellement prévisible. Lyme n'était pas désagréable à regarder et un tel regard prolongé pouvait facilement être mal interprété par un esprit aussi simplet.
Si elle avait été seule et que ces paroles lui avaient été adressée, la jeune psychiste n'aurait pas hésité longtemps avant de lui envoyer un choc mental qui l'aurait bien vite fait reculer de douleur et de peur. Mais là, elle était curieuse de voir la réaction de Lyme, aussi resta-t-elle silencieuse, cachant son sourire dans son infusion.

La menace à peine voilée de Lyme n'eut pas réellement l'effet escompté.

— Refus d'obtempérer, hein ? Très bien, tu l'auras cherché, ma jolie. Contrôle d'identité. Mais je suis prêt à passer l'éponge pour outrage à agent si tu deviens un peu plus... gentille.

Vanilla ne put cette fois pas retenir sa moue dégoûtée ; ses pensées étaient tellement claires qu'elle n'avait aucun mal, même si elle n'avait pas usé de ses ondes cérébrales, à imaginer la scène qu'il avait en tête. Et son propre rôle dans ladite scène la fit reposer bruyamment sa tasse sur la table.
Le bruit attira un moment l'attention du policier qui se retourna vers la jeune fille.

— A moins que ta jeune amie ne se dévoue... ?

— L'endroit ne serait pas approprié non ? Ici ? Devant témoin ?

Son regard avait alterné entre le policier et la femme. A qui s'adressait-elle ? Etait-ce une feinte d'acceptation pour le "gardien de la paix" ? Ou une proposition de travail groupé pour sa "collègue" ? Libre à elle et à lui de interpréter comme ils voudraient.

Le message à deux interprétations avait fait mouche et après un bref éclat dans le regard, Lyme se mit elle aussi à jouer le jeu. Sa collègue ayant recentré l'attention sur elle, Vanilla prit un moment pour observer Fabrice au loin, qui observait la scène. S'il intervenait, il pourrait sauver son collègue.
Non, quelque chose clochait. Quelque chose dans son regard s'apparentait à... de la colère ? Et... de la satisfaction... ?
Allumant un instant ses yeux, Vanilla se plongea dans son esprit. Il savait que c'était un piège, il sentait que les deux femmes étaient des appâts pour quelque chose de plus dangereux. Mais il n’interviendrait pas. Il savait que Christophe était un mauvais flic, mais savait qu'il n'y avait aucun moyen de le faire tomber depuis l'intérieur de la police. Il n'interviendrait pas parce qu'il savait qu'il méritait une leçon. Mais aucun scénario dans son esprit n'approchait ceux que la jeune fille avait en tête.
Elle redirigea donc son attention vers Lyme et Fabrice :

— Vous nous réglez ça et on y va ?

Dans un rire gras, le policier posa un billet sur la table tandis que la jeune fille se levait, rassemblant ses affaires. Eh, tant qu'à faire, autant économiser une infusion.


Quelques minutes plus tard, ils étaient tous les trois en bordure de la ville, dans un endroit que Vanilla avait appris à apprécier ; un hangar désaffecté. Par chance, cela faisait partie de ceux qu'elle avait légèrement réaménagé pour le faire passer en vaste maison de campagne.
Elle avait gardé le compte précis du nombre de fois où l'homme lui avait saisi les fesses et comptait bien le lui rendre.
Le groupe arriva dans une salle meublée comme une chambre où la jeune fille avait eu pour projet d'établir un jeu avec un système de démembrement par écartèlement. Le système d'écartèlement n'était pas encore parfaitement en place, mais au moins, il y avait de quoi retenir un être humain par les bras et les jambes.

— Aaah, t'es une fille comme ça hein ?

— Vous n'avez pas idée...

En essayant de se faire coquine malgré un cruel manque d'expérience, elle le poussa sur le lit, lui grimpa dessus et, tentant de faire abstraction de ce qu'elle espérait naïvement être son téléphone dans sa poche, l'attacha fermement aux quatre coins du lit.
Aussitôt, elle sourit et descendit du lit en s'époussetant.

— A vous l'honneur, dit-elle à l'attention de Lyme.

A voir le visage du policier et le téléphone toujours dans sa poche, celui-ci n'avait toujours pas compris ce dans quoi il s'était embarqué.

HRP: