On se sert la pince ? [Glyde - S3]

Même de là-haut, on ne voyait rien à l’horizon à part cette mer de sable doré qui se répétait inlassablement à l’identique. Le soleil brillait plus que jamais et m’obligeait à voler les yeux rivés sur le sol. Autant pour la chaleur, ça pouvait aller, autant pour la lumière… Et ça avait l’air d’être le même problème pour l’Embrylex sur mon dos. C’était son premier vol, en plus. Elle était presque touchante quand elle se jetait en arrière après avoir regardé à peine une seconde par-dessus mon épaule – si seulement elle ne pesait pas quasiment le double de mon poids. Au moins ça m’obligeait à combattre l’ennui.
Ça devait être barbant à la longue de vivre ici : il n’y a pas de vrai paysage, quasiment pas de vent, pas d’eau, un enfer pour voler, l’air est super sec, il fait soit trop chaud, soit trop froid, et c’est… désert. Sûrement de là d’où vient le nom.

"C’est juste ici !"

A son signal, je baissai progressivement mon altitude et atterris en plein milieu d’une dune. La jeune Embrylex sauta dès qu’elle put, me libérant d’une peine immense sans s’en rendre compte. C’est pas de tout repos de faire une demi-journée de voyage avec un bloc de roche sur la voile vous savez. Surtout après quatre jours de voyage à travers l’île, en partant des falaises de l’Ouest. Mais bon, j’étais trop gentil à accepter de faire la navette pour tous les enfants du monde.

"Je vais enfin revoir ma mère. Merci beaucoup monsieur."
"Attends !"

Je lui sortis un bout de papiers reliés de mon sac et l’ouvris à même le sable sur un dessin grand format. Vu sa curiosité, ça devait être la première fois qu’elle voyait une carte de Maïlys – et un Pokemon avec un guide de Maïlys.

"Je cherche une ville d’humains au nord du désert, vers là." dis-je en pointant ladite ville du bout de la pince. "Tu saurais comment s’y rendre ?"

C’était mon but, en tout cas. Je ne savais pas vraiment ce qu’il y avait là-bas, ni même comment elle s’appelait, mais on m’y avait rapporté des événements étranges liés à des entités antiques… Mon domaine, en somme.

"D’après ce truc, on devrait trouver un alignement de trois rochers pas loin. Suffit de le suivre."
"Des rochers ?"

Je fixai les trois petits ronds marron qu’elle me montrait en essayant de les retenir. Il fallait bien que je pallie mon sens de l’orientation négatif, ce qui prenait longtemps. Très longtemps. Tellement longtemps que l’Embrylex était déjà partie quand je relevai les yeux de la carte.
Bon, il était temps de repérer lesdits gros cailloux. Devant, du sable. A gauche, du sable. A droite, du sable. Donc forcément, c’était derrière que j’allais trouver… du sable.

Attends, quoi ?

J’avais beau regarder dans toutes les directions, revérifier sur la carte, re-regarder dans toutes les directions, pas de roches ; que du jaune à perte de vue. Et une tâche sombre immobile au loin. Peut-être enfin quelqu’un qui pouvait m’aider. Le vent s’était mis à souffler dans sa direction en plus – un signe.

Autant aller voir.

Le problème quand on n’a pas d’aile à proprement parler, c’est qu’on est lent sur les moyennes distances. Mais d’une lenteur… Limite j’arrivais à compter les grains qui passaient sous moi. J’essayais tant bien que mal de vérifier la position de la tache sombre malgré le soleil qui me brûlait les yeux. Elle semblait d'ailleurs un peu bouger. Bonne nouvelle en soi, j’aurais pu faire tout ce chemin pour parler à une plante. Fin’, j’ai rien contre les plantes. Ma meilleure amie en est une – en quelque sorte – et j’adore les arbres et… Bref.

Je sentais mes muscles commencer à perdre du tonus au fur et à mesure du trajet. Étrange, ça faisait juste une journée que je n’avais ni mangé ni dormi. Ou peut-être deux… Sans Phyro pour m’aider, la maladie – et le manque d’attention – me faisait perdre la notion du temps passé. J’avais sûrement commis une erreur en partant seul, même pour un voyage aussi bref. Je voulais juste voir si j’étais capable de me débrouiller par moi-même sur une dizaine de jours.

"Zzzzzz"

Et c’était mal barré.
Techniquement, ça se rapprochait plus d’un état de fatigue profond qu’à du sommeil – comme si vous divisiez votre énergie par dix d’un coup. Oui c’est ça, un coup de barre. J’avais l’impression que le monde avançait au ralenti et que mon corps lâchait partie par partie. Heureusement, le vent restait assez fort pour maintenir ma trajectoire vers cette tâche mouvante qui ressemblait de plus en plus à… un humain. J’aurais préféré une plante, en fait.

Je tentai de changer de cap avant d’être trop proche de lui, mais mon corps ne voulait plus faire aucune manœuvre. Et c’était trop tard de toute façon. Le meilleur restait de continuer ma route en gardant assez d’altitude pour passer au-dessus de sa tête.

Avec un peu de chance, il ne me calculera pas.

Bien évidemment, la chance n’était pas vraiment du même avis. Le vent se renforça brusquement à quelques mètres de l’humain, devenant de plus en plus erratique. J’aurais quand même pu garder l’équilibre si une grosse vague de sable ne m’avais pas aveuglé, me faisant perdre le contrôle et chuter sur le sol de sable. Sable qui aurait été normalement doux, sans compter le truc que j’avais percuté en chemin.
Je sentais que je passais ma meilleure journée.

HRP:

La seule sensation que j’appréciais dans tout ce chaos était le chaud. Pas la chaleur, juste le chaud, style celui du sable chauffé. C’est pas une si mauvaise chose d’être allongé dans le sable en vrai. Je comprenais mieux pourquoi certains Pokemon aimaient s’y enfouir ; ça doit faire comme un bain quand on n’a pas peur de se faire poncer les yeux. Je m’y serais sûrement endormi dans d’autres circonstances.
Mais là, j’avais mal. J’avais beau ne pas être matinal, j’avais mal.

Normalement, j’avais l’habitude de me prendre des trucs durs percuter des rochers ou des arbres en plein vol. Cette fois, ma tête avait rencontré une matière plus solide – de l’acier ? Au bruit on dirait, mais dans le désert ? Dans tous les cas, la douleur réussissait à me maintenir éveillé. Et au sol.

"…Scorvol, scorvol ?"

L’humain répétait le nom de mon espèce, maintenant. Peut-être qu’il essayait de communiquer avec moi. Ou peut-être que c’était lui, le bout de métal que je m’étais pris, et que le choc avait endommagé son cerveau. Je le sentis se lever du sol à ces vibrations, en plus de celles déjà présentes.

Mais depuis quand c’est fait en acier, les humains ?

Pour la première fois depuis ma chute, je bougeai péniblement mon corps en essayant de me relever. D’abord on pousse sur ses pinces, puis on met les pattes et… c’était bon. J’étais enfin debout – à moitié courbé mais debout. Mon premier réflexe fut d’observer les alentours. La tempête de sable était toujours aussi violente, même si la partie « tempête » me gênait plus que la partie « sable ». Fait intéressant, les grains semblaient tourner autour de moi et former une sorte de barrière. Ignorant comme j’étais, je croyais que ce phénomène venait du désert à l’époque.
Malgré le voile de sable, mes yeux arrivèrent à à peu près localiser l’humain en train de… foncer dans la tempête. Il ne lui fallut pas plus d’une seconde avant de trébucher sur le seul caillou à vingt mètres et de se viander. Vu sa précipitation, ça devait plus être la peur que le courage qui le motivait à braver les rafales. Celle de rester prisonnier du sable…

Ou alors c’est moi qui lui ait fait peur en lui fonçant dessus.

Plus plausible.
L’humain marmonna quelque chose au sol et se releva avant de se tourner vers moi. Il semblait s’être ravisé de fuir. C’était maintenant à moi de lui faire comprendre que je n’étais pas hostile. Enfin, il n’y avait pas grand-chose d’hostile dans un Scorvol qui tenait difficilement sur ses deux pattes. En plus, j’étais plus petit que lui sans me dresser sur ma queue. Je devais juste garder la même posture en espérant qu’il comprenne.
Pendant qu’il progressait vers moi, je crus apercevoir une ombre se former derrière lui, au loin dans la tempête. Cette ombre grandissait au fil du temps, lentement mais sûrement.

D’abord l’humain, et après on verra.

Mes yeux étaient vite revenus à cet humain qui me fixait, créant un moment de flottement dans lequel nous nous observâmes, immobiles au milieu des vents et des grains. Je n’avais pas eu grandes chances de pouvoir me trouver en face d’un représentant humain de si près. Celui-là semblait être jeune par rapport aux autres que j’avais rencontré, peut-être ce qui se rapprocherait de mon âge. Difficile à déterminer, les humains ne pouvaient pas s’empêcher de ne pas faire comme tout le monde, à avoir plein de formes différentes. Je n’en avais jamais vu d’individu avec des yeux rouges comme les siens, en y repensant. On aurait dit ceux d’un… d’un Embrylex, tiens. Mais il y avait peu de chances que l’humain soit aussi dangereux qu’un Tyranocif ; il n’en avait pas le tempérament. Malgré son manque de confiance – osez me dire qu’il était serein alors qui venait de se rétamer en voulant fuir – il s’était résigné à rester et à garder son calme. Ou à feindre de garder son calme. On aurait été deux à faire semblant, au moins.

De sa bouche s’échappa un léger sifflet. Le jeune humain fit bouger le sac de son dos pour y fourrer une de ses pattes avant – ou « main » je crois. Il avait l’air d’y chercher quelque chose. Au même moment, je remarquai enfin le petit Pokemon qui était sorti du sable. Ma mémoire ne réussissait pas à situer qui il pouvait bien être – Phyro m’apprit plus tard qu’on appelait ça un Mac Sma Moka Mascaïman – mais mon instinct avait directement senti la peur infusée dans son regard. Lui aussi semblait intéressé par l’humain.

Un Pokemon , un humain, un sac, moi…

Mais c’était sûr, en fait. Les deux étincelles de vie qui subsistaient encore dans mon cerveau finirent par comprendre que ce jeune faisait parti de ce clan d’humains, qu’on désignait par « Dresseurs ». Le Mascaïman devait donc être son Pokemon apprivoisé ; et il était en train de trouver l’objet qui pouvait faire de moi un de ses autres captifs.
De toutes les manœuvres qui existaient pour répondre à cette situation, mon corps n’arriva qu’à faire un pas sans conviction en arrière. C’était décidé, le gentil Scorvol connu sous le surnom de Glyde allait être réduit en esclavage, ne répondant plus qu’à un maître absolu et sanguinaire, obligé de se battre, de respirer, de vivre seulement par et avec son autorisation.

…

Une racine. Le dresseur venait de déposer une racine de plante, toujours en ma direction. Dès que sa main la dévoila, je la reconnus comme faisant parti de ces racines qu’on pouvait voir sur le versant Est du Mont Couronné à Sinnoh. Phyro m’en ramenait plein de la forêt, elle disait qu’elles étaient bonnes pour la santé et qu’elles rendaient aimable ; mais je pense qu’elles sont plus toxiques pour ma langue qu’autre chose. Bon, j’avais le choix entre risquer de potentiellement tomber dans un potentiel piège ou être sûr de rester enfermé ici, enseveli sous le sol volatile du désert parce que mes muscles décidaient d’hiberner sans le reste de mon corps.

"Merci, je suppose."

En somme, j’avais fini par prendre la racine.


"Bon, passons à autre chos- Masky ? Que fais-tu ?"

En mâchouillant la plante au goût de noyade en pleine mer, mes yeux se tournèrent vers le dénommé Masky, et suivirent ses yeux jusqu’à l’humain et l’ombre mouvante qui se trouvait derrière. Je comprenais le sentiment de peur qui suintait du Mascaïman ; au fur et à mesure du temps qui passait, la silhouette qui se dessinait était bien plus grande que je l’avais prédite… Elle allait me dépasser, à force.

"Tu peux voler malgré la tempête ? Ou, au moins, t'es en assez bon état pour fuir voir te battre ? Cette… créature n'a pas vraiment l'air d'être dans le genre super pacifique vu comment elle fonce vers nous. Un "boss" de ce désert probablement."
"Je-Ça devrait aller. On a juste dû pénétrer dans le territoire de quelqu’un et il vient de s’en rendre compte. Avec les vents, on pourrait vite prendre de la hauteur et fuir, mais..."

Mon regard passa rapidement vers le jeune humain qui s’était enfin retourné. D’un côté, je réfléchissais à comment j’allais m’orienter dans cet océan de sable une fois sorti de la tempête, et puis… C’était lui qui me permettait de m’extirper d’ici après tout, je ne me sentais pas l’abandonner à son sort.
Finalement, les racines ça rendait vraiment aimable.

"On ne va pas le laisser ici. J-Je pense que je peux vous porter tous les deux, mais il va me falloir un peu de temps."

Et le temps était écoulé, de toute façon ; il n’était question que d’un mouvement avant l’arrivée de ce "boss". En réflexe, je me dressai sur ma queue et bondis devant l’humain, essayant tant bien que mal de surplomber le Tyranocif qui venait de surgir du rideau de sable. Évidemment, de toutes les créatures vivant ici, il fallait qu’on tombe sur celle qui faisait ma taille. Quelle plaie…
Le géant vert me toisa silencieusement en premier. En gardant le contact oculaire, immobile, sans signe d’hostilité, j’espérais me montrer assez clair sur nos premières intentions – c’est-à-dire continuer nos vies sans encombre et sans se battre pour, si possible.
Dans un grognement sonore, il dévia son attention sur quelque chose derrière moi et lui cracha une sorte de menace.

"Toi, tu penses pouvoir sortir vivant d’ici après ce que tu as fait ?"

Un humain qui pouvait voler… Sur quoi étais-je encore tombé ?

En écartant les craintes de percuter un humain en plein ciel dans un futur proche, ce don de vol était une aubaine pour nous. A vrai dire, il me fallait surtout du temps pour que la racine fasse pleinement effet sur mes muscles. Je ne pouvais pas risquer de prendre deux charges sur mon dos pour finalement ne pas réussir à décoller du sol. Cependant, ça devenait une toute autre histoire sans le jeune humain à transporter. Une histoire de quelques secondes pour être plus précis.

"Prépare ton envol, on te le laisse ton temps. Je m’occupe de ce balourd moi-même."

Ça me faisait mal de leur léguer un affrontement là où j’étais le plus à même de l’engager, étant en première ligne, mais il avait raison, je n’étais pas complètement prêt. Je lui répondis d’un léger mouvement de tête. Même à un pas de moi, le Tyranocif ne semblait pas avoir remarqué notre stratégie. Tant mieux, moins notre fuite était prévisible, plus on avait de chances de s’échapper sans blessures. A moins que lui aussi ne se mettait à voler subitement.

De derrière moi, j’entendis le dresseur beugler une série de plaintes avant d’ordonner au Mascaïman de lancer un Tourbi-Sable dans les pieds du grand verdâtre. Ainsi, le Mascaïman s’appelait Masky, et j’avais bien à faire à un dresseur. C’était assez ironique, quand j’y pensais : Masky m’avait bien rapporté que l’humain "n’allait pas faire grand-chose de lui-même, et pourtant, il avait attendu son ordre pour le suivre à la lettre. Quelle pouvait être la vraie nature de leur relation ..?
Enfin, qu’importe, mes compagnons d’un jour savaient ce qu’ils devaient faire. L’humain eut même l’air d’avoir repris du poil de la bête, en plus. C’était donc à mon tour d’assurer le coup. Le tourbillon de sable avait bien touché la grosse cible qu’était le Tyranocif. Je pouvais sentir son souffle s’ajouter au flux de la tempête qui faisait rage… Un moyen de rendre le vent plus puissant…

"Je vais pas te mentir, s'il nous attrape, on est loin d'être bien. Le tout va être de s'échapper de cet endroit sans se faire avoir par d'autres monstres de ce type qui pourrait lui prêter main forte dans le simple but de nous emmerder."
"Ne t’inquiète pas, c’est bien mon but. Masky, c’est ça ? Monte vite, et accroche-toi !"

A l’instar du Mascaïman, mes pinces ouvertes canalisèrent un morceau de la tempête de sable et l’envoyèrent sur notre opposant sous la forme d’un deuxième Tourbi-Sable. Celui-ci était moins concentré, se comportant plus comme un écran sablo-éolien, mais il suffisait à assurer une immobilisation temporaire.
A peine l’attaque lancée que je voûtai encore plus mon dos et fléchis ma queue. La moindre sensation de pression sur mon voile activa sa détente et, en une fraction de seconde, nous étions dans les airs. Comme prévu, nos mini-tornades combinées avaient renforcé le courant ascendant et nous supportaient, moi et… l’humain. Je ne m’y ferai jamais.
Bref, nous étions hors de danger maintenant.

"Raaaaah, allez vous en et laissez moi cet enflure, ou vous prendrez le même tarif !"

Évidemment qu’il n’allait pas nous lâcher si facilement. En fait, la cible de sa menace n’était pas vraiment le groupe, mais une personne en particulier – le jeune humain, sûrement. Mais si ce n’était pas la violation de territoire, qu’est-ce qu’il avait bien pu faire pour attiser les foudres d’un tel monstre ? Ce dernier ne nous laissa pas le temps de réfléchir et fit apparaître une pluie de gros rochers de nulle part. D’après les bruits d’impact dans le sable, la zone martelée par l’Eboulement était large ; assurément, l’attaque n’était pas précise de base et nos Tourbi-Sable l’empêchaient de viser correctement.
Mon corps comprit plus vite que mon esprit l’urgence de la situation et commençait déjà à manœuvrer entre les courants et les roches pour prendre de la distance.

"Hé Masky, l’autre ne craint rien avec les rochers ? Sinon, il faut tu fasses quelque chose pour qu’il puisse nous suivre !"